Les clauses de profit sharing dans les contrats de vente de GNL vers l’Union européenne
Si les traders l’ont bien compris et pratiquent depuis longtemps l’arbitrage, celui-ci ne leur est plus réservé. De plus en plus souvent, les contrats à long terme contiennent eux aussi des dispositions permettant à l’acheteur et au vendeur de saisir des opportunités d’arbitrage.
L’un des outils contractuels les plus utilisés est le droit de diversion associé à un mécanisme de partage des bénéfices. Il s’agit de permettre aux parties de changer la destination d’une ou plusieurs cargaisons de GNL afin d’en optimiser la valeur, moyennant l’engagement de partager entre elles le profit ainsi dégagé.
Ce droit est incontestablement un avantage pour l’acheteur qui peut ainsi à tout moment arbitrer entre différentes places de marché en fonction de ses besoins et des différentiels de prix.
Il représente aussi une opportunité pour le vendeur qui, en offrant cette flexibilité, peut plus facilement trouver des acheteurs disposés à souscrire des engagements d’achat (take or pay) à long terme. Sans parler du gain potentiel qu’il peut en retirer dans le cadre du partage des bénéfices réalisé à l’occasion de la diversion…
Attention néanmoins, ces clauses de diversion et de partage de profit doivent être maniées et rédigées avec précaution.
LA VALIDITE DES CLAUSES DE PARTAGE DE PROFIT AU REGARD DU DROIT DE LA CONCURRENCE
Les clauses de partage de profit sont jugées anti-concurrentielles en droit de la concurrence européen lorsqu’elles ont pour effet de restreindre la liberté d’un acheteur situé au sein de l’Union européenne de revendre le gaz/GNL en dehors de son marché national.
La Commission Européenne, en 20021 et en 20072, de même d’ailleurs que l’autorité de concurrence japonaise (Japan Fair Trade Commission – « JFTC ») en 20173 , ont apporté les clarifications suivantes : la clause de partage de profit est illicite lorsqu’elle limite la capacité de revente de l’acheteur, c’est-à-dire sa capacité à céder le GNL/gaz après qu’il en est devenu propriétaire ; a contrario, elle n’est pas illicite quand elle accompagne une diversion qui intervient alors que le vendeur est toujours propriétaire du GNL/gaz.
En pratique, il y a donc lieu de distinguer deux catégories de contrats de vente de GNL :
- les contrats qui prévoient un transfert de la propriété et des risques du GNL à l’acheteur au port de chargement : c’est le cas en pratique des contrats « free on board » (FOB) et des contrats « cost insurance and freight » (CIF) ;
- les contrats qui prévoient un transfert de la propriété et des risques du GNL à l’acheteur au port de déchargement : c’est le cas des contrats « delivery ex-ship » (DES) ou « delivery at port » (DAP).
Dans la première catégorie de contrats, une clause permettant au vendeur de partager le profit tiré d’une diversion intervenant pendant le transport du GNL sera en principe illicite alors qu’elle ne le sera pas en principe dans la seconde catégorie de contrat. Il résulte en effet des dernières décisions de la Commission européenne que le transfert de la propriété et des risques est considéré comme un critère essentiel pour l’appréciation de la licéité de la clause.
La clause de partage de profit en contrepartie d’un droit de diversion ne peut donc en principe valablement être introduite que dans les contrats de vente de GNL prévoyant une livraison DES ou DAP.
Une analyse au cas par cas devra néanmoins toujours être menée afin d’apprécier si les conditions d’application de la clause sont ou non déraisonnablement défavorables à l’acheteur et de nature à empêcher ou dissuader celui-ci de changer la destination d’une cargaison.
QUELQUES RECOMMANDATIONS SUR LA REDACTION DE CES CLAUSES
Le droit de diversion et le partage de profit doivent faire l’objet d’une rédaction rigoureuse et détaillée pour limiter les risques de litiges. L’acheteur et le vendeur doivent notamment se poser les questions suivantes au moment de rédiger la clause dans le cadre d’un contrat de livraison DES/DAP :
- Comment définir le droit de diversion ? Il est défini le plus souvent comme le droit de proposer qu’une cargaison de GNL soit livrée à l’acheteur (ou à un tiers acheteur) à un port de déchargement différent de celui initialement programmé.
- Qui a le droit de proposer une diversion ? C’est le plus souvent l’acheteur, mais potentiellement aussi le vendeur, qui dispose d’un tel droit. Dans tous les cas, la procédure d’instruction d’une proposition de diversion par l’autre partie doit être précisément décrite et encadrée dans des délais.
- La partie qui reçoit une proposition de diversion est-elle libre de refuser ? En général, les contrats prévoient que le refus ne doit pas être « déraisonnable ». A titre d’exemple, une justification raisonnable pourrait être, pour le vendeur, d’invoquer l’incompatibilité du navire avec le nouveau port de déchargement désigné par l’acheteur.
- Quel niveau d’information requérir sur l’opération de diversion ? La partie qui reçoit la proposition de diversion doit disposer des informations suffisantes pour apprécier l’opportunité et les risques de l’opération et prendre sa décision. La communication de ces informations ne doit cependant pas conduire à la communication d’informations commercialement sensibles entre concurrents actuels ou potentiels (ce qui peut nécessiter le recours à un auditeur indépendant) et doit par ailleurs s’effectuer dans le respect des engagements de confidentialité souscrits le cas échéant auprès de tiers.
- Lorsque la diversion a lieu au profit d’un tiers acheteur, qui contracte avec celui-ci et qui assume le risque de défaillance ? Logiquement, le vendeur signe le contrat de vente avec le tiers acheteur puisque le GNL est sa propriété. En revanche, le risque est le plus souvent partagé, le vendeur ne payant à l’acheteur sa quote-part de profit que dans la mesure où il a effectivement encaissé les sommes correspondantes et à due proportion de cet encaissement.
- Comment définir et calculer le profit généré par la diversion ? Le profit est la différence entre (i) le prix de revente par l’acheteur initial (ou le prix payable par le tiers acheteur) sur le marché du nouveau port de déchargement et (ii) le prix auquel l’acheteur initial aurait pu revendre le même volume de GNL sur le marché du port de déchargement initial, moins (iii) les surcoûts (notamment de transport) résultant de la diversion. Comme indiqué précédemment, si l’acheteur et le vendeur sont concurrents actuels ou potentiels, le calcul du profit de diversion doit être réalisé par un auditeur indépendant pour prévenir les échanges d’informations sensibles.
- Comment répartir le profit de diversion entre l’acheteur et le vendeur ? Le modèle de contrat publié en 2012 par l’Association of International Petroleum Negotiators (AIPN – Master LNG Sale and Purchase Agreement) comprend une clause (optionnelle) stipulant que les parties se mettront d’accord, pour chaque diversion envisagée, sur une répartition « commercialement raisonnable » du profit. Une alternative plus prudente consiste à fixer la clé de répartition à l’avance dans le contrat (par exemple 50/50, ce qui correspond à la pratique la plus courante).
- Comment gérer les litiges ? En cas de contestation sur le calcul ou la répartition du profit, les contrats prévoient en général le recours à un expert, puis à l’arbitrage.
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1 http://europa.eu/rapid/press-release_IP-02-1869_fr.htm
2 http://europa.eu/rapid/press-release_IP-07-1074_fr.htm
3 http://www.jftc.go.jp/en/pressreleases/yearly-2017/June/170628.html