La Commission adopte son nouveau règlement d’exemption par catégorie applicable aux accords verticaux et de nouvelles lignes directrices
Dans le cadre de la révision du Règlement d’Exemption par Catégorie Verticale (le « REC »), la Commission Européenne a adopté, ce 10 mai 2022, le nouveau texte du règlement d’exemption, qui entre en vigueur à partir du 1er juin 2022 et expire le 31 mai 2034. Une période de transition est prévue jusqu’au 31 mai 2023 (voir le communiqué de presse de la Commission ici).
S’agissant des Lignes Directrices, la Commission a pour le moment approuvé le contenu du projet publié ce 10 mai et leur adoption formelle aura lieu dans un second temps, lorsque toutes les versions multilingues seront disponibles.
Cette publication fait suite à un processus de consultation approfondie pendant plus de trois ans. Au cours de ce processus, la Commission a publié un Staff Working Document (notre alerte ici), une Analyse d’impact initiale (notre alerte ici) ainsi que, en juillet 2021, les projets de textes (notre alerte ici), qui ont donné lieu à une ultime consultation sur le sujet des échanges d’informations dans le cadre de scénarios de double distribution.
Les principaux objectifs poursuivis par la Commission dans la rédaction du nouveau Règlement sont :
(i) de réajuster la « zone de sécurité » (safe harbor) offerte par le REC afin d’éliminer les cas de faux positifs et de réduire les faux négatifs ;
(ii) de fournir aux parties prenantes des orientations actualisées et adaptées à l’environnement actuel, remodelé par la croissance du commerce électronique et des plateformes en ligne ;
(iii) de réduire les coûts de mise en conformité pour les entreprises en simplifiant les règles actuelles
LES PRINCIPALES EVOLUTIONS
Les principales évolutions portent sur les points suivants :
La double distribution (« dual distribution »)
- La Commission a constaté que, notamment du fait de la progression du commerce en ligne, les situations de double distribution (dans lesquelles un fournisseur vend ses produits non seulement par l’intermédiaire de distributeurs indépendants, mais aussi directement aux clients finaux, en concurrence directe avec ses distributeurs indépendants) sont devenues courantes. Elle considère ainsi que l’exception actuelle concernant la double distribution serait susceptible de conduire à l’exemption d’accords verticaux pour lesquels les problèmes horizontaux pourraient ne plus être négligeables en ce qui concerne les échanges d’informations entre concurrents liés par une relation verticale.
- Le nouveau Règlement précise ainsi que, si les accords verticaux entre concurrents peuvent bénéficier de l’exemption, celle-ci ne s’applique pas aux échanges d’informations qui, soit ne sont pas directement liés à la mise en œuvre de l’accord vertical, soit ne sont pas nécessaires pour améliorer la production ou la distribution des biens ou services concernés (soit ne remplissent aucune de ces deux conditions). Les lignes directrices (§100) fournissent des exemples d’échanges d’informations susceptibles de ne pas être exemptés, tels que des informations sur les prix futurs.
Dans le cas où un fournisseur et un acheteur échangeraient des informations qui ne remplissent pas les conditions de l’article 2(4) (a) ou (b), l’échange d’informations devra faire l’objet d’une analyse individuelle au regard de l’article 101(1) TFUE. Dans ce cas, les autres dispositions de l’accord vertical concerné peuvent néanmoins continuer de bénéficier de l’exemption.
En pratique, les fournisseurs exploitant un réseau de distribution et commercialisant leurs produits en direct devront donc être particulièrement vigilants à ce que les informations qui seront échangées avec leurs distributeurs ou remontées ne portent pas sur (liste non exhaustive) :
(i) les prix futurs du fournisseur ou de l’acheteur ;
(ii) des éléments permettant d’identifier individuellement des clients finaux – sauf à ce que ces informations visent à satisfaire les exigences particulières d’un client final (programme de fidélité, service après-vente etc.) ou si ces informations permettent de contrôler le respect d’un réseau de distribution sélective. On voit là la volonté de la Commission de reconnaître le statut particulier des réseaux de distribution sélective qui ont besoin de faire l’objet d’une protection particulière.
(iii) des produits vendus par le distributeur sous sa propre marque lorsque ces informations sont échangées avec un fabricant de produits concurrents, sauf à ce que ce dernier ait fabriqué les produits vendus par le distributeur.
Les plateformes
La Commission a instauré une nouvelle exception à l’exemption de la double distribution s’agissant des accords verticaux relatifs à la fourniture de services d’intermédiation en ligne si le fournisseur de services d’intermédiation vend également des biens ou des services en concurrence avec des entreprises auxquelles il fournit des services d’intermédiation en ligne (Article 2.6).
En d’autres termes, les contrats de prestation de services d’intermédiation conclus par une plateforme dite « hybride » ne peuvent plus bénéficier de l’exemption par catégorie , marquant une volonté de la Commission de ne pas laisser ces acteurs bénéficier de « faux positifs » alors qu’elles pourraient avoir un rôle incontournable sur le marché.
- La Commission a par ailleurs maintenu la définition selon laquelle les plateformes d’intermédiation en ligne sont considérées comme agissant en qualité de fournisseurs et semble présumer que ces plateformes, de façon générale, ne rempliraient pas les conditions pour bénéficier de l’exception applicable aux relations d’agents et leurs relations avec leurs utilisateurs seront de fait soumises à l’article 101§1 TFUE.
Nul doute que cette approche soulèvera des difficultés d’interprétation notamment s’agissant des relations de commissionnement qui traditionnellement échappaient à l’article 101§1 TFUE et pour lesquelles il conviendra de clarifier l’application ou non du statut d’agent lorsque l’intermédiaire en question décide de digitaliser ses activités via le développement d’une plateforme.
- Les conséquences d’une telle définition sont susceptibles d’être structurantes et devront être analysées minutieusement.
Concernant les restrictions des ventes actives
- La Commission marque un progrès en posant une définition plus claire et adaptée au développement du e-commerce des notions de ventes actives et ventes passives, en précisant que certains types de comportements en ligne, lorsqu’ils ciblent spécifiquement une clientèle, peuvent constituer des ventes actives. Tel est notamment le cas de tout moyen de ciblage d’un client, tel que la publicité ciblée, le recours aux outils de comparaison tarifaire, les outils de référencement, l’utilisation d’extension pays au-delà du pays d’implantation, etc. (cf. article 1 (l) et (m) du Règlement).
- De fait, la Commission redonne un sens aux exclusivités territoriales ou de clientèle dans le contexte des ventes en ligne qui étaient auparavant considérées par défaut comme étant des ventes passives et ne pouvaient donc pas être limitées.
- Elle introduit, à l’article 4 point b), la possibilité d’une exclusivité partagée, permettant à un fournisseur de désigner, sur un territoire donné ou pour une clientèle prédéfinie, un maximum de 5 distributeurs exclusifs.
- L’article 4, point c) accorde une meilleure protection aux systèmes de distribution sélective contre les ventes de distributeurs non autorisés situés sur le territoire auquel s’étend la distribution sélective.
Une approche certes plus flexible dans l’organisation des conditions de la vente en ligne et vente hors ligne …
La Commission a tenu compte du développement majeur du commerce en ligne et de la nécessité de fournir aux opérateurs une plus grande flexibilité dans l’organisation de leurs systèmes de distribution. Elle a ainsi justement constaté que, contrairement à l’environnement qui prévalait en 2010, tous les opérateurs avaient aujourd’hui largement adopté le commerce en ligne, de sorte qu’il n’existe plus de raison légitime de maintenir des garde-fous visant à promouvoir cette forme de commerce.
Elle propose donc d’assouplir les règles en matière de double prix (dual pricing) et en ce qui concerne le principe d’équivalence.
- En ce qui concerne le système de double prix : l’article 4 du Règlement ne qualifie plus le système de double prix de restriction caractérisée et permet donc aux fournisseurs de fixer des prix de gros différents pour les ventes en ligne et hors ligne d’un même distributeur, à condition que ce double prix vise à encourager ou à récompenser un niveau d’investissement adéquat, en rapport avec les coûts liés à chaque canal, et ne vise pas à restreindre la possibilité pour le distributeur de vendre les produits en ligne, ce qui constituerait une restriction caractérisée.
- En ce qui concerne le principe d’équivalence, le Règlement prévoit que, dans le cadre de la distribution sélective, les critères de sélection imposés pour la vente en ligne n’ont plus besoin d’être globalement équivalents à ceux imposés aux points de vente physiques dès lors que ces deux canaux sont de nature intrinsèquement différente.
… Mais, une extension de la notion de restriction des ventes en ligne
- Cela étant, la flexibilité nouvelle n’est pas sans contrepartie puisque la Commission a adopté une définition assez large de la définition de restrictions des ventes en ligne.
Ainsi et c’est là une nouveauté par rapport au projet publié en juillet, les restrictions des ventes en ligne sont inscrites comme restriction caractérisée au sein d’un nouvel article 4(e) du Règlement, qui prévoit que constitue une restriction caractérisée le fait pour un fournisseur d’empêcher l’utilisation effective d’internet par l’acheteur ou ses clients pour ventre les biens ou services contractuels, tout en précisant que ce principe n’empêche pas le fournisseur d’imposer à l’acheteur « d’autres restrictions des ventes en ligne ».
Le paragraphe 206 des lignes directrices fournit des exemples de restrictions qui peuvent indirectement avoir pour objet d’empêcher l’utilisation effective d’internet au sens de l’article 4(e), telles que par exemple : le fait d’imposer au distributeur de demander l’autorisation préalable du fournisseur pour chaque vente individuelle en ligne (laissant néanmoins la possibilité de demander un agrément préalable général pour la vente en ligne), le fait d’interdire à l’acheteur d’utiliser la marque du fournisseur sur son site internet ou le fait d’interdire à l’acheteur d’utiliser des outils de publicité en ligne tels que des moteurs de recherche ou des outils de comparaison de prix.
- Toujours s’agissant des restrictions des ventes en ligne, la Commission fournit des orientations actualisées visant à clarifier et à harmoniser les règles applicables et à intégrer les principes directeurs de l’appréciation des restrictions en ligne tirés notamment de la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE, notamment dans les affaires Pierre Fabre et Coty, dont elle clarifie le périmètre.
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Bien que le Règlement ne révolutionne pas la matière, son entrée en vigueur soulèvera sans aucun doute un grand nombre de questions pratiques dans le cadre de leur mise en œuvre, notamment dans l’organisation des réseaux de distribution et leurs stratégies commerciales.