Extraterritorialité des lois américaines et chinoises : enjeux et implications pour les entreprises françaises
L’extraterritorialité des législations étrangères représente un enjeu stratégique majeur pour les entreprises françaises opérant à l’étranger. Confrontées à des exigences importantes en matière de conformité et à des risques de sanctions, elles doivent naviguer dans un environnement juridique complexe et en constante évolution.
Après avoir rappelé les principales réglementations extraterritoriales en vigueur, cet article expose les conséquences pratiques que rencontrent les entreprises françaises qui y sont assujetties ainsi que des recommandations pratiques.
1. L’extraterritorialité des lois américaines
Les États-Unis adoptent une interprétation très extensive de l’extraterritorialité de leurs lois, qui contraint de nombreuses entreprises étrangères à les respecter y compris en dehors des Etats-Unis.
1.1 Un cadre réglementaire de portée mondiale
Les principales réglementations américaines ayant une application extraterritoriale comprennent :
- Le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), qui prohibe la corruption d’agents publics étrangers et impose des obligations de conformité rigoureuses telles que la réalisation d’audits de conformité. Son application extraterritoriale s’étend aux entreprises étrangères dès lors qu’un lien de rattachement avec les Etats-Unis est identifié, comme des transactions en dollars ou l’utilisation d’infrastructures financières ou informatiques américaines.
- Le Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act (CLOUD Act), qui permet aux autorités américaines d’accéder aux données informatiques stockées, y compris en dehors du territoire américain, par des fournisseurs de services établis sur le territoire des Etats-Unis.
- L’International Emergency Economic Powers Act (IEEPA), qui autorise le gouvernement américain à imposer des sanctions économiques à l’encontre d’entités étrangères perçues comme une menace pour la sécurité nationale.
- Les sanctions économiques édictées par l’Office of Foreign Assets Control (OFAC), qui imposent des restrictions commerciales aux entités en lien avec certains pays ou individus sanctionnés. Ces sanctions peuvent être primaires (visant les « U.S. Person ») ou secondaires (visant les entreprises étrangères traitant avec des entités sous embargo américain). L’OFAC dispose d’un arsenal répressif très contraignant comprenant des peines d’emprisonnement, des sanctions pécuniaires pouvant s’élever à plusieurs millions de dollars ou encore une exclusion du marché américain.
1.2 Ayant un impact direct sur les entreprises françaises opérant aux Etats-Unis
Les obligations imposées par ces réglementations concernent directement les entreprises françaises notamment lorsqu’elles :
- effectuent des transactions en dollars américains ou ont recours aux services d’une banque américaine ou établie aux Etats-Unis ;
- disposent d’une implantation, une filiale, des partenaires commerciaux aux États-Unis ou emploient des salariés américains ou lorsque leurs actions sont négociées sur une bourse américaine ;
- intègrent des technologies ou des composants d’origine américaine dans leurs chaînes d’approvisionnement, les soumettant aux règles du contrôle des exportations.
Plusieurs groupes français ont déjà fait l’objet de sanctions substantielles. Une banque française a notamment été condamnée en 2014 à une amende record de 8,9 milliards de dollars pour violation d’embargos américains.
2. L’extraterritorialité des lois chinoises
Contrairement aux États-Unis, la Chine a initialement développé des mesures extraterritoriales dans une optique défensive. Toutefois, en 2020, le gouvernement chinois a décidé de renforcer son arsenal juridique afin d’imposer ses propres normes aux acteurs économiques étrangers.
2.1 Un cadre réglementaire en expansion
Les principales dispositions à caractère extraterritorial incluent notamment :
- La liste des entités non fiables (Unreliable Entity List) instaurée en septembre 2020, a vocation à sanctionner les entreprises étrangères (i) qui porteraient atteinte à la souveraineté, la sécurité ou au développement de la Chine ou (ii) qui enfreignent les règles normales de marché causant des préjudices aux intérêts d’entreprises chinoises en interrompant leurs transactions avec ces dernières ou en prenant des mesures discriminatoires à leur égard. Les entreprises inscrites sur la liste des entités non fiables sont interdites de participer à des activités d’importation et d’exportation en Chine et d’investir dans le pays. Cette interdiction peut être cumulées avec des sanctions financières ou pénales. Depuis le début de l’année 2025, la Chine a ajouté une dizaine de sociétés américaines à cette liste.
- La loi contre les sanctions étrangères et le règlement contre l’application extraterritoriale injustifiée de lois et mesures étrangères de 2021 qui vise (i) à dissuader les entreprises chinoises et étrangères établies en Chine de respecter les règles d’extraterritorialité étrangères et, (ii) à interdire aux entreprises chinoises ou étrangères établies en Chine de se conformer à des sanctions étrangères jugées discriminatoires à l’encontre des intérêts chinois. Elles ont été invoquées pour contraindre certaines entreprises à ne pas rompre leurs liens avec des entités chinoises sous embargo, notamment en réponse aux sanctions américaines contre la société Huawei.
- La loi sur le contrôle des exportations de décembre 2020, complétée en 2024 par un Règlement sur le contrôle à l’exportation des biens à double usage, soumet certaines catégories de technologies et de ressources stratégiques à des restrictions. La Chine a notamment ajouté des restrictions sur l’exportation de minerais critiques comme le gallium et le germanium, essentiels aux industries high-tech et de défense. Le régime de sanctions est important : avertissement, suspension de licence, confiscation, amende jusqu’à $8 millions ou 10 fois les gains tirés des activités illicites.
- La loi sur la protection des données personnelles (« PIPL ») d’août 2021 impose des restrictions strictes sur le transfert transfrontalier des données, s’inspirant du RGPD européen, et met l’accent sur la souveraineté des données. Elle impose une supervision administrative pour tout transfert de données dites importantes (susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale ou à l’intérêt public chinois en cas de destruction ou divulgation), pour tout transfert d’un volume significatif de données, ou encore pour tout transfert par un opérateur de système d’information dans les industries sensibles comme l’énergie, la défense et les services publics. Pour les autres données personnelles, leur transfert en dehors de Chine requiert la signature par le récepteur des données d’un contrat standard l’obligeant à respecter les dispositions de la loi chinoise.
2.2 Ayant des conséquences de plus en plus significatives pour les entreprises françaises
Les entreprises opérant en Chine ou entretenant des relations commerciales avec des partenaires chinois doivent anticiper plusieurs enjeux :
- La PIPL a entraîné un mouvement de localisation de certaines données sur le territoire chinois, voir pour certains acteurs une séparation hermétique de la Chine avec les systèmes d’information globaux, rendant les flux transfrontaliers complexes pour les multinationales françaises.
- La possible restriction d’accès au marché chinois en cas d’alignement sur des sanctions occidentales et notamment américaines, ce qui crée des incertitudes pour les entreprises opérant à la fois en Chine et aux États-Unis.
- Une complexité croissante dans la gestion des risques réglementaires et contractuels, notamment pour les entreprises opérant dans des secteurs sensibles comme les télécommunications, l’intelligence artificielle et les semi-conducteurs.
3. La réponse française à l’extraterritorialité
Face à ces potentielles ingérences étrangères, la France a également mis en place des outils juridiques visant à protéger ses entreprises, limiter l’application de réglementations extraterritoriales étrangères et, le cas échéant, à faire appliquer son propre cadre réglementaire à l’étranger.
3.1 L’extraterritorialité du droit pénal français
Le droit pénal français prévoit des mécanismes permettant de sanctionner des actes commis à l’étranger lorsqu’ils impliquent des intérêts français, notamment lorsque l’auteur ou la victime est français, ou qu’une partie de l’infraction a été commise sur le territoire français. Les règles en matière de lutte contre la corruption, notamment d’agent public étranger, permettent également aux autorités françaises d’intervenir dans des poursuites pénales à l’encontre d’entités étrangères.
3.2 La loi de blocage : un rempart contre l’ingérence étrangère
La loi n° 68-678 du 26 juillet 1968, dite la « loi de blocage » interdit, sous réserve des traités ou accords internationaux, aux entreprises françaises de transmettre à des autorités publiques étrangères, ou dans le cadre de procédures judiciaires ou administratives étrangères, des informations ou documents d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique dont la communication pourrait porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité ou aux intérêts économiques essentiels de la France.
Les entreprises recevant des demandes d’informations de la part d’autorités étrangères doivent en informer le Service de l’Information Stratégique et de la Sécurité Économique (SISSE), qui joue un rôle crucial en émettant un avis sur l’applicabilité de la loi de blocage aux informations demandées. Plusieurs juridictions américaines ont récemment reconnu l’application de cette loi, contraignant ainsi les entreprises américaines à recourir aux mécanismes d’entraide judiciaire prévus par les traités internationaux.
Conclusion
L’extraterritorialité des législations étrangères et leur extension est un défi juridique complexe, nécessitant une vigilance accrue et une stratégie juridique adaptée. La France, à travers son droit pénal et sa loi de blocage, dispose de mécanismes de protection dont l’efficacité dépend largement de l’engagement des acteurs économiques et institutionnels.