Cadre juridique des marchés volontaires du carbone – Focus sur l’Afrique
L’effort mondial contre le changement climatique nécessite des mécanismes innovants pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Parmi ces mécanismes, les marchés volontaires du carbone apparaissent comme un outil permettant d’orienter les investissements vers des projets à faible émission de carbone.
Les acteurs (telles que les grandes entreprises) opérant sur les marchés volontaires du carbone achètent des crédits carbone afin de compenser leur impact sur le climat. Un « crédit carbone » représente l’équivalent d’une tonne métrique de CO2 évitée ou éliminée de l’atmosphère. Parmi les projets permettant de générer des crédits carbone, on peut citer les projets de reforestation, de restauration de zones humides et les initiatives de cuisson propre qui remplacent les fourneaux traditionnels à bois et à charbon par des solutions solaires ou électriques.
La vente et l’achat de crédits carbone sur les marchés volontaires reposent actuellement sur des organismes indépendants (tels que VERRA). Ces organismes établissent les normes que les projets doivent respecter pour être reconnus comme des vecteurs efficaces de réduction ou suppression des émissions de GES. La qualité et l’intégrité des crédits carbone délivrés par ces organismes de certification indépendants constituent une préoccupation majeure et font l’objet de nombreuses controverses.
L’article 6.4 de l’Accord de Paris[1] établit un mécanisme centralisé d’attribution de crédits carbone[2] supervisé par un organe de surveillance. Une fois le mécanisme pleinement opérationnel, les États, les entreprises et les particuliers pourront acheter des crédits carbone (appelés « A6.4ERs »). Malgré l’incertitude quant à l’impact de l’Accord de Paris sur les marchés volontaires du carbone et le passage potentiel à un marché mondial, l’article 6.4 devrait permettre d’établir une référence pour les normes de crédit carbone. Une telle référence renforcerait la crédibilité et la stabilité du système et augmenterait ainsi la demande en crédits carbone : une transparence accrue et des méthodes de vérification et de contrôle renforcées sont essentielles pour instaurer la confiance auprès des acteurs du marché et garantir la crédibilité et l’efficacité des marchés du carbone.
Dans ce contexte, compte tenu du potentiel pour le développement d’infrastructures à faible émissions et de puits de carbone naturels, les marchés du carbone pourraient offrir à de nombreux États africains des opportunités significatives d’accueillir sur leur territoire des projets de réduction ou de suppression des GES. Cet article présente une vue d’ensemble des cadres juridiques, des défis et des perspectives des marchés volontaires du carbone en Afrique.
Les marchés africains du carbone : potentiel et objectifs
L’Afrique ne génère actuellement qu’une petite fraction de son potentiel annuel maximal de crédits carbone et ne représente qu’environ 16 % du marché mondial du carbone[3]. L’Initiative des Marchés du Carbone en Afrique (ACMI), lancée lors de la COP27, ambitionne de développer les marchés volontaires du carbone en Afrique avec, pour objectif, l’émission de 300 millions de crédits carbone par an d’ici 2030 et 1,5 milliard de crédits carbone d’ici 2050[4]. L’initiative vise également à dégager des revenus significatifs, à soutenir des millions d’emplois et à assurer une redistribution équitable des revenus générés par les crédits carbone aux communautés locales.
Cadres juridiques nationaux – Aborder les questions clés
Au niveau national, les gouvernements reconnaissent de plus en plus la nécessité d’établir des cadres juridiques solides pour réglementer les marchés du carbone et attirer les investissements dans des projets de réduction ou de suppression des émissions de GES. Ces règles sont conçues pour :
- Établir un cadre pour la mise en œuvre de l’Accord de Paris, y compris l’article 6.4 ;
- Veiller à ce que les projets s’alignent sur les objectifs nationaux de réduction des émissions de GES ;
- Garantir que l’État bénéficie des projets développés sur son territoire ;
- Attirer les investissements.
A titre d’exemple, en 2023, le gouvernement kényan a amendé la loi sur le changement climatique de 2016 (Climate Change Act) afin d’intégrer une réglementation spécifique des marchés du carbone. Des règlements sur le changement climatique (Climate Change (Carbon Markets) Regulations) ont ensuite été adoptés en 2024. Le Togo a, quant à lui, adopté le décret n° 2023-034/PR relatif aux mécanismes carbone en mars 2023. L’arrêté n° 040/MERF du 30 mai 24 définissant la procédure d’homologation des projets et programmes éligibles aux mécanismes de carbone a ensuite été publié en septembre 2024.
Le cadre institutionnel comprend généralement une autorité nationale chargée de vérifier l’éligibilité des projets, d’approuver et d’enregistrer les projets et de contrôler leur mise en œuvre.
En ce qui concerne le régime applicable aux crédits carbone, nous observons que les questions récurrentes, déterminantes à la fois pour les États et les développeurs de projets, sont celles typiquement soulevées dans le cadre de projets portant sur des ressources naturelles et financés par le secteur privé. Ces sujets sont notamment les suivants :
- Propriété des crédits carbone – Les États ont généralement adopté l’une de ces deux approches :
- Propriété de l’État : Les crédits carbone générés par un projet dans un pays appartiennent à l’État (ou à toute autre autorité publique désignée par la législation pertinente), qui accorde ensuite la propriété d’une certaine proportion de ces crédits au développeur du projet ;
- Propriété du développeur de projet : Les crédits carbone générés par un projet appartiennent au développeur du projet, qui peut avoir l’obligation de transférer une certaine proportion de ces crédits (ou leur valeur correspondante) à l’État, à une autorité publique désignée et/ou aux communautés locales.
Quelle que soit l’approche retenue, il est indispensable que la législation applicable soit précise sur ce point.
- Accords de partage – Les textes applicables peuvent également prévoir que les bénéfices tirés du projet seront alloués par le biais d’un accord de partage. L’accord de partage détermine les modalités de ce partage entre les parties prenantes, qui peuvent inclure : l’État, les communautés locales et certaines autorités nationales. Dans ce cadre, l’État peut négocier les conditions en fonction de l’attrait du projet pour les investisseurs.
- Fiscalité et redevances : Un autre moyen pour l’État de tirer profit des marchés du carbone réside dans la taxation et/ou les redevances. Les États peuvent soumettre la vente et/ou plus généralement toute forme de transfert de crédits carbone à une taxe spécifique et/ou à certains frais à payer à l’autorité compétente. De nombreux pays n’ont pas encore adopté les textes d’application fixant la base d’une telle taxe ou le montant d’une telle redevance. Il s’agit d’un point essentiel pour les investisseurs et les développeurs de projets, ces montants ayant un impact sur leurs revenus. Les parties prenantes privées ont également besoin de stabilité et de visibilité à cet égard, quels que soient les frais et les taxes qui s’appliqueront.
Bien que les marchés du carbone soient de plus en plus réglementés dans les juridictions africaines, leur développement demeure confronté à plusieurs défis. Les cadres juridiques incomplets sont de nature à créer des incertitudes pour les investisseurs et les développeurs de projets. Dans de nombreux pays, les nouvelles législations ne sont pas encore testées par le marché. L’évolution de l’environnement réglementaire applicable aux crédits carbone peut rendre celui-ci difficile à aborder pour les parties prenantes. Enfin, les conflits avec d’autres textes applicables (tels que ceux relatifs aux impacts environnementaux et sociaux, aux droits fonciers et à la commande publique) sont également susceptibles d’affecter la mise en œuvre des projets.
En établissant des cadres juridiques stables et lisibles, les États seront mieux à même d’exploiter pleinement le potentiel des marchés du carbone en tant qu’outil contribuant à l’atténuation du changement climatique.
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