Analyses & décryptages

Actualité du Brexit : le rôle de la Chambre des Lords

PASSAGE D’UN PROJET DE LOI

Le diagramme ci-dessus illustre les étapes par lesquelles doit passer un projet de loi initié dans la Chambre des Communes pour devenir loi.

La première étape est généralement une formalité ; le titre court du projet de loi est présenté et est suivi par un ordre pour l’impression du projet de loi. La deuxième lecture est la première opportunité que les députés ont pour débattre des principes généraux et des thèmes du projet de loi. Le ministre du Gouvernement ou le député responsable du projet de loi ouvre le débat et le porte-parole officiel de l’opposition répond. La Chambre débat et vote le passage du projet de loi à l’étape suivante, l’étape de la commission. Cette étape se déroule normalement en commission, comme son nom l’indique, et la commission peut recueillir des témoignages d’experts et de groupes d’intérêts extérieurs au Parlement. Les amendements qui vont être débattus sont sélectionnés par le président et seuls les membres de la commission peuvent voter. Après l’examen en commission, le projet de loi est imprimé à nouveau avec tous les amendements qui ont été votés et le projet de loi retourne devant la Chambre des Communes pour l’étape du rapport, lors de laquelle tous les députés peuvent débattre et voter d’autres amendements. La dernière opportunité pour débattre du projet de loi est lors de la troisième lecture, qui a normalement lieu immédiatement après l’étape du rapport, étant le point suivant de l’ordre du jour. Le débat est normalement court, le projet de loi ne pouvant plus être amendé pendant la troisième lecture. A la fin du débat, la Chambre vote l’approbation de la troisième lecture du projet de loi. Le projet de loi passe ensuite à la Chambre des Lords pour suivre le même processus. Le projet de loi de retrait de l’Union européenne vient de finir l’étape du rapport à la Chambre des Lords.

LES AMENDEMENTS VOTÉS PAR LA CHAMBRE DES LORDS

Il était fortement anticipé que les Lords feraient d’importants amendements au projet de loi de retrait pour plusieurs raisons. Ils avaient déjà signalé, lors des étapes antérieures, leur désapprobation quant aux vastes pouvoirs que le Gouvernement proposait de s’octroyer pour passer la législation dérivée (appelés les « pouvoirs Henry VIII ») afin de pouvoir passer la grande quantité de législations requises pour mettre en œuvre le Brexit. De plus, il existe une majorité pro-UE chez les Lords, et puisqu’ils ne sont pas élus, ils ne craignent pas la « punition » de leurs électeurs pro-Brexit du fait de s’être opposés au projet de loi de retrait. Finalement, les Conservateurs n’ont pas de majorité chez les Lords, et ne peuvent pas compter sur le « whipping » pour gagner des votes.

Naturellement les esprits s’échauffent, certains hommes politiques et la presse pro-Brexit accusant les Lords de vouloir « passer outre la volonté du peuple » telle qu’exprimée par le résultat du référendum. Les pro-UE répondent que, s’agissant, par exemple, des détails relatifs à la question du statut du Royaume-Uni en tant que membre du marché unique ou de l’union douanière, la question étant distincte de la question fermée « rester dans ou sortir de l’Union européenne » posée lors du Référendum, la « volonté du peuple » ne peut pas être déterminée à partir du résultat, presque deux ans plus tard.

Au total, les Lords ont voté 14 amendements dont les plus importants sont :

  • Des mesures pour forcer le Gouvernement à maintenir le statut du Royaume-Uni en tant que membre de l’Espace Economique Européen et dans l’union douanière. Ce dernier amendement est le premier à avoir été voté et a fait l’objet de nombreuses controverses, de gros titres sur la « trahison Brexit » étant publiés en réponse. Les Lords ont voté 348 pour et 225 contre, soit le septième plus grand vote jamais observé. La position du Gouvernement est la suivante : en demeurant dans l’union douanière, le Royaume-Uni serait lié par les tarifs européens et dans une position commerciale moins avantageuse. Par ailleurs, rester dans l’EEE ne permettrait pas de contrôler les frontières et les lois du Royaume-Uni et, en continuant de transposer la législation européenne, saperait le résultat du référendum.
     
  • L’obligation pour le Parlement d’avoir un « vrai vote » sur le résultat des négociations avec l’UE. Selon les partisans de cet amendement, le Parlement devrait pouvoir voter contre un « accord défavorable » ou une sortie de l’UE sans accord, puisque les deux seraient désastreux pour le Royaume-Uni. Les options qu’aurait le Gouvernement si le Parlement votait contre un accord négocié avec l’UE ou prenait la décision de sortir sans accord, ne sont cependant pas claires puisque la coopération de l’UE serait essentielle pour rouvrir les négociations. Curieusement, les Lords ont rejeté un amendement qui proposait un deuxième référendum sur l’accord.
     
  • L’obligation pour le Gouvernement d’obtenir l’approbation du Parlement sur son mandat relatif à la négociation de la relation avec l’UE à l’avenir une fois que l’accord de retrait aura été accepté et entrera en vigueur (the « having a say » requirement ou condition « avoir son mot à dire »).
     
  • L’intégration des objectifs de l’accord du Vendredi Saint dans le projet de loi, afin de protéger le processus de paix. Cette disposition reflète l’absence de solution claire qui permettrait de résoudre la contradiction entre le refus du Gouvernement de continuer de faire partie de l’union douanière et son engagement à ne pas avoir de frontière « dure » sur l’île d’Irlande, principe fondamental de l’accord du Vendredi Saint.   
     
  • Le maintien en vigueur de la Charte Européenne des Droits Fondamentaux en droit britannique après le Brexit. Selon le Gouvernement, maintenir en vigueur la Charte créerait le risque qu’après le Brexit une loi nationale doive être écartée si elle se trouve en conflit avec une « loi étrangère », situation qui constituerait un « affront à la constitution ». Si cette disposition était maintenue dans la version finale de la Loi, le Royaume-Uni resterait assujetti à la juridiction de la Cour de Justice de l’Union Européenne à cet égard.
     
  • La suppression du 29 mars 2019 comme date de sortie aux motifs qu’un délai supplémentaire sera peut-être nécessaire.
     
  • Des dispositions pour assurer la participation du Royaume-Uni dans les agences européennes après le Brexit.

Les Lords ont aussi approuvé de nombreux amendements permettant de limiter le recours aux actes réglementaires et aux pouvoirs Henry VIII ; les ministres ne pourront notamment passer de nouvelles lois qu’en cas de nécessité (et non pas quand ils considèrent qu’il est « approprié » de le faire). Ils ont également approuvé des amendements concernant le droit des animaux et le maintien de l’unité de la famille des réfugiés en Europe, un amendement proposé par Lord Dubs qui a soutenu la réforme de la loi d’immigration britannique de 2016 éponyme et qui impose au Gouvernement de réunir les réfugiés mineurs non-accompagnés avec les membres de leur famille vivant au Royaume-Uni.

LES PROCHAINES ETAPES

Le projet de loi de retrait en est à l’étape de sa troisième lecture, prévue le 16 mai. Il retournera ensuite aux Communes pour le vote des amendements. Si les Communes n’acceptent pas tous les amendements des Lords (ce qui est fort probable) le projet de loi sera renvoyé à la Chambre des Lords, les deux chambres devant se mettre d’accord sur la formulation exacte du projet de loi. Le projet de loi peut être renvoyé d’une Chambre à l’autre pendant un certain temps, un processus communément appelé « Ping Pong ». Ce n’est que lorsque les Communes et les Lords se seront mis d’accord sur la version finale du projet de loi qu’il pourra recevoir l’Assentiment royal et devenir loi. Si les deux Chambres ne se sont pas mises d’accord avant la fin de cette session parlementaire, le projet de loi échouera, mais le Gouvernement pourra se fonder sur les Parliament Acts pour faire passer le projet de loi, sans l’approbation des Lords, lors de la prochaine session parlementaire. Ce serait un développement constitutionnel extrêmement inhabituel qui alimenterait davantage le débat sur le statut constitutionnel de la deuxième chambre non-élue du parlement britannique.  


Cette Alerte Client n’a qu’une vocation d’information générale non exhaustive. Elle ne saurait constituer ou être interprétée comme un acte de conseil juridique. Le cabinet Gide ne pourra être tenu responsable de quelconques dommages directs ou indirects découlant de l’utilisation des informations contenues dans cette Alerte Client.

News & insights

Voir toutes nos News & insights