30 janvier 2023
L'AFEP et le Medef ont mis à jour, en date du 20 décembre dernier, leur code de gouvernement d'entreprise avec l'ambition de "placer délibérément la stratégie RSE au cœur des missions du conseil"[1]. Elles prennent acte que les entreprises accordent aux enjeux de RSE une place centrale dans leurs décisions et leur stratégie et déclarent souhaiter accélérer la dynamique en faveur de la prise en compte de ces sujets par les conseils d'administration et de surveillance. Cette mise à jour reflète donc l'importance prise par ces enjeux dans la stratégie des enreprises et du point de vue des acteurs de marché, ainsi que la volonté ed l'Afep et du Medef "de porter ces sujets au plus haut niveau de l'entreprise".
De nombreuses sociétés soumises au code appliquent d'ores et déjà tout ou partie des mesures introduites dans cette nouvelle version, mais celle-ci devrait à contribuer à la généralisation de ces pratiques.
Le code a été publié quelques jours après la parution au Journal Officiel de l'Union européenne de la directive relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (la "directive CSRD"). A l'occasion de cette mise à jour, une attention toute particulière est apportée à la question des enjeux climatiques, ce qui illustre l'importance[2] et l'universalité de ce sujet (à l'instar des développements au niveau des normes internationales, dont celles en cours de préparation par le Conseil international des nrmes de durabilité (ISSB)), sans bien évidemment minimiser l'importance des autres sujets ESG.
Si ces recommandations sont applicables pour les assemblées générales statuant sur les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2023, l'Afep et le Medef précisent qu'il est cependant recommandé que les conseils fassent leurs meilleurs efforts pour les appliquer immédiatement.
La nouvelle version du code ne se prononce par sur la place des enjeux ESG dans le dialogue actionnarial, et l'on peut rappeler à cet égard les prises de position de l'AMF qui recommande dans son Guide de l'information permanente et de la gestion de l'information privilégiée "d'instaurer un dialogue entre le conseil et les actionnaires, le cas échéant par le truchement d'un administrateur référent, sur les principaux sujets d'attention des actionnaires, notamment les questions relatives à la stratégie et la performance en matière sociale, environnementale et de gouvernance (ESG)".
Il ne se prononce pas non plus sur le rôle du conseil en ce qui concerne l'information extra-financière, que la directive CSRD rebaptise information en matière de durabilité et dont elle organise la prise en compte par le conseil, le comité d'audit ou l'un de ses autres comités spécialisés.
Les principales dispositions adoptées dans cette nouvelle version du code sont développées ci-dessous.
La nouvelle version du code prévoit que le conseil, sur proposition de la direction générale, détermine des orientations stratégiques pluriannuelles en matière de responsabilité sociale et environnementale. La direction générale précise les modalités de mise en œuvre de cette stratégie avec un plan d'actions et les horizons de temps et tient le conseil informé annuellement de la mise en œuvre de cette stratégie.
Il convient de rappeler que la manière dont la stratégie RSE et les questions de durabilité (c'est-à-dire les droits environnementaux, les droits sociaux et les droits de l'homme, et les facteurs de gouvernance) sont traitées au sein de l'entreprise et de ses organes de gouvernance fait l'objet d'une attention et d'exigences de description toutes particulières dans la directive CSRD et dans les projets de normes d'information en matière de durabilité préparés par l'EFRAG. La directive CSRD prévoit en effet que les entreprises assujetties seront tenues de publier des informations précises sur les risques et opportunités qui découlent des questions de durabilité, sur la mise en œuvre des aspects de la stratégie économique qui touchent ou sont touchés par les questions de durabilité (ullustrant l'approche dite de "double matérialité"), ainsi que sur le rôle du conseil d'administration et de la direction s'agissant de ces questions de durabilité.
Quant aux projets de normes - qui détermineront de manière précise les informations requises - ils déclinent les informations à fournir, allant du rôle des organes d'administration, de direction et de surveillance de l'entreprise concernée en ce qui concerne les questions de durabilité, à l'accès de ces organes à l'expertise et les compétences nécessaires pour remplir ce rôle, ou encore la gestion des risques et les contrôles inernes en matière de reporting de durabilité.
Le code prévoit qu'en matière climatique, cette stratégie doit être assortie d’objectifs précis, définis pour différents horizons de temps. Il est aussi recommandé que le conseil examine chaque année les résultats obtenus et l’opportunité d’adapter, le cas échéant, le plan d’action ou de modifier les objectifs au vu de l’évolution de la stratégie, des technologies, des attentes des actionnaires et de la capacité économique à les mettre en œuvre.
La nouvelle version du code ne va pas jusqu'à entrer dans le détail de ce que doit recouvrir cette stratégie, ni sur ses ambitions au regard de l'accord de Paris, ni sur la référence, dans la définition des objectifs, à des données reposant sur la science.
Cette recommandation est toutefois à mettre en regard avec la pratique de plus en plus largement répandue chez les émetteurs de s'inscrire dans une stratégie compatible avec l'accord de Paris, c’est-à-dire dans une trajectoire de réduction de leurs émissions de GES selon un certain calendrier, avec un objectif en particulier en 2030, et aboutissant en 2050 à l'atteinte de la neutralité carbone. Elles se réfèrent pour cela le plus souvent à la démarche proposée par la Science based target intitiative[3], qui peut valider leurs plans d'actions, étant précisé qu'en novembre dernier, l'Organisation Internationale de Normalisation (ISO) a publié ses propres lignes directrices en matière de neutralité carbone. Les émetteurs anticipent également sur la transposition de la directive CSRD, et sur les normes qui la préciseront, qui leur imposera d'informer les tiers des plans définis pour assurer la compatibilité de leur modèle commercial et de leur stratégie avec la transition vers une économie durable et la limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C conformément à l’accord de Paris , et d'indiquer si les objectifs fixés liés aux facteurs environnementaux reposent sur des preuves scientifiques concluantes
Rappelons enfin que la proposition de la Commission européenne de directive sur le devoir de vigilance, en cours de discussion au sein des institutions européennes, prévoit que les entreprises qui y seront soumises devront adopter un plan pour garantir la compatibilité de leur modèle et de leur stratégie économiques avec la transition vers une économie durable et avec la limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C conformément à l’accord de Paris. Si cette disposition demeure dans le texte final, il ne s'agira plus seulement d'une obligation d'information, mais d'une obligation substantielle.
La nouvelle version du code prévoit que cette stratégie climatique, comme les principales actions engagées à cet effet, sont présentées à l’assemblée générale des actionnaires au moins tous les 3 ans ou en cas de modification significative.
On relèvera que le code ne va pas jusqu'à préconiser un vote consultatif de l'assemblé générale sur une résolution présentant la stratégie climatique qui lui est présentée (say on climate). En 2022, ce sont douze sociétés du SBF 120 qui ont volontairement soumis une telle résolution au vote consultatif de leurs actionnaires.
Rappelons que l'AMF a lancé une réflexion sur le sujet en mai 2022. Un rapport du Haut Comité Juridique de la place de Paris était attendu pour début 2023 sur ce sujet, pouvant aboutir à une recommandation en matière de soft law ou de droit dur.
Le Haut Comité Juridique de la place de Paris (HCJP) a diffusé le 24 janvier son rapport sur les résolutions climatiques par lequel il préconise que soit prévu dans les codes de gouvernement d'entreprise que le conseil d’administration peut proposer aux actionnaires, qui peuvent également le demander en application de l’article L. 225-105 du Code de commerce, d’exprimer dans le cadre d’un vote consultatif leur avis sur la stratégie climatique arrêtée par le conseil d’administration. Le rapport ne formule pas de préconisation quant à la fréquence que devrait avoir une telle consultation, mais recommande que celle-ci soit annoncée par le conseil. Le rapport recommande, comme l'a fait l'AMF, que le conseil informe précisément les actionnaires sur les conséquences d'un vote négatif. Il recommande qu'une modification soit apportée à l'article L225-105 du code de commerce pour prévoir qu'en cas de contestation du refus d’inscription de projets de résolution, le tribunal de commerce compétent statue selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible afin de permettre aux actionnaires de contester plus efficacement les refus d’inscription à l’ordre du jour de résolutions reçues par le conseil d’administration.
La nouvelle version du code prévoit que les sujets RSE fassent l’objet d’un travail préparatoire réalisé par un comité spécialisé du conseil. Cette recommandation figure dans le code Middlenext depuis septembre 2021. A ce jour, 71,7% des sociétés du SBF 120 ont confié à un comité du conseil d'administration le soin de suivre les sujets de RSE ; ce comité est un comité dédié dans 41,7% des sociétés du SBF 120, et dans 30% des cas, il s'agit d'un comité du conseil (stratégie, nomination et rémunération, audit…) aux attributions duquel s'ajoutent les sujets RSE[4].
Il convient de noter que la directive CSRD étend le rôle et les fonctions prévues (par la Directive Audit) pour le comité d'audit, le mettant plus particulièrement en charge des sujets d'informations en matière de durabilité et d’assurance de l’information en matière de durabilité, sans préjudice de la faculté pour les Etats membres de permettre que les fonctions assignées au comité d’audit en ce qui concerne l’information en matière de durabilité et l’assurance de l’information en matière de durabilité soient exercées par l’organe d’administration ou de surveillance dans son ensemble ou par un organe spécialisé établi par l’organe d’administration ou de surveillance. Cette question sera tranchée pour la France lors de la transposition de la directive par l'Etat français[5]. Dans un tel cas, la répartition des rôles et la coordination des comités concernés revêtiront une importance particulière, notamment en ce qui concerne la revue des dispositifs de gestion des risques.
Au-delà des fonctions ainsi assignées par les textes européens au comité d'audit ou à un autre comité spécialisé du conseil, on observe que les comités en charge de la RSE ont généralement dans leurs attributions tout ou partie des sujets suivants :
Rappelons enfin que les agences de vote sont attentives à ce que la façon dont les sujets de durabilité sont pris en compte par le conseil soit clairement explicitée.
Le code prévoyait déjà que les administrateurs peuvent bénéficier, à leur demande, d’une formation notamment sur les enjeux en matière de responsabilité sociale et environnementale. La nouvelle version du code précise "en particulier sur les sujets climatiques".
Il est intéressant à cet égard de citer le code Middlenext qui dans sa version de septembre 2021 précise : "Alors que la prise en compte du dérèglement climatique provoque un bouleversement du cadre réglementaire européen et français induisant un contexte mouvant, heurté, exigeant, la formation des membres des Conseils présente désormais une dimension éthique, celle de leur nécessaire montée en compétences afin d’assurer leurs obligations fiduciaires."
L'effort de formation des administrateurs sur les sujets RSE et notamment en matière climatique est également fortement préconisé par l'IFA[6], et s'il n'est pas régulé de manière stricte, il est toutefois appréhendé par la directive CSRD à raison des informations à publier au titre des normes d’information en matière de durabilité pour illustrer l'expertise des organes de gouvernance en matière de durabilité, par exemple s'agissant de la formation en matière de durabilité.
L’intégration de critères RSE dans la rémunération des dirigeants est, selon l'Afep et le Medef[7], "un levier puissant pour porter ces préoccupations, et notamment les enjeux climatiques, au premier plan". L'ancienne version du code prévoyait déjà que la rémunération des dirigeants devait intégrer un ou plusieurs critères liés à la responsabilité sociale et environnementale. La nouvelle version précise que dorénavant, il en faut plusieurs, dont au moins un critère en lien avec les objectifs climatiques de l’entreprise. Il précise également que les critères définis de manière précise doivent refléter les enjeux sociaux et environnementaux les plus importants pour l'entreprise, qui s'ajoutent le cas échéant au critère climatique.
En 2022, 88,7% des sociétés du SBF 120 intègrent un critère ESG dans le bonus variable de leurs dirigeants, et 94,9% dans leur politique de rémunération de long terme[8]. En 2021, 87% des sociétés du CAC 40 intégraient au moins un critère environnemental, le plus souvent climatique, dans le bonus variable ou la rémunération de long terme des dirigeants[9].
Le code entérine donc une pratique déjà largement répandue, en soulignant l'importance du critère climatique.
Le code recommande, en outre, que des critères quantifiables soient privilégiés afin de faciliter leur mesure. L'indicateur quantitatif de réduction des émissions de CO2 est déjà le plus utilisé[10].
L'utilisation de critères RSE dans la rémunération des dirigeants fait également partie des informations à inclure le cas échéant dans le rapport en matière de durabilité prévu par la directive CSRD. En substance, selon le projet de normes d’information en matière de durabilité, les entreprises devront communiquer à propos de l’existence de systèmes d’incitation liés aux questions de durabilité proposés aux membres de leurs organes de direction et à ceux de leurs conseils d’administration ou de surveillance.
L’entreprise devra ainsi indiquer dans son rapport de gestion si elle a mis en place des plans d’intéressement liés aux facteurs de durabilité. Si tel est le cas, l’entreprise devra, entre autres, préciser (i) si les performances des personnes concernées sont évaluées au regard d’objectifs ou de critères spécifiques en matière de durabilité, (ii) quels sont ces objectifs ou ces critères spécifiques et (iii) si et comment les indicateurs de performance liés au développement durable sont considérés comme des critères de performance ou sont inclus dans les politiques de rémunération.
Cette mise à jour du code s’inscrit donc dans les tendances réglementaires générales et les dernières évolutions en matière d’ESG et de durabilité, mais elle confirme des pratiques qui sont déjà en place pour un nombre important d’émetteurs plus qu'elle ne prend de positions ambitieuses pour accélérer la transition des entreprises en matière environnementale et sociale.
[1] Communiqué de presse conjoint de l'Afep et du Medef en date du 20 décembre 2022
[2] La prise en compte des enjeux climatiques par le conseil a fait l'objet d'un rapport de l'Institut français des administrateurs ("le rôle du conseil d'administration dans la prise en compte des enjeux climatiques", IFA, 2019) qui formule un certain nombre de recommandations à l'attention des conseils d'administration et reste d'actualité.
[3] 63% des sociétés du SBF 120 le font, selon le baromètre IFA, Ethics & Board, "une gouvernance toujours plus responsable", octobre 2022
[4] Baromètre IFA, Ethics & board, "une gouvernance toujours plus responsable", octobre 2022
[5] Une loi d'habilitation permettant au gouvernement de procéder par ordonnance pour cette transposition est actuellement en discussion. Le gouvernement devrait disposer d'un délai de neuf mois pour rendre cette ordonnance.
[6] Voir rapport précité sur le rôle du conseil d'administration dans la prise en compte des enjeux climatiques
[7] Voir communiqué précité
[8] Baromètre IFA, Ethics & board, "une gouvernance toujours plus responsable", octobre 2022
[9] Baromètre des rémunérations : « Le climat dans la politique de rémunération des CEO », Nov. 2021, Ethics & Boards, Chapter Zero France, IFA
[10] Voir le baromètre des rémunérations précité