Bien que ralentie en raison du contexte politique agité que l'on connaît, l'activité réglementaire n'est pas totalement à l'arrêt, et a en particulier donné lieu à l'adoption d'une ordonnance en date du 15 octobre 2024[1] relative à une thématique qui avait déclenché de vives controverses il y a une quinzaine d'années. Procédant à la transposition de la directive dite Women on Boards en date du 23 novembre 2022[2], cette ordonnance, comme son intitulé l'indique, consiste ainsi à renforcer la place des femmes au sein des organes de direction des plus grandes sociétés.
De prime abord, et une fois n'est pas coutume, on pouvait néanmoins être surpris de ce que la France soit tenue à quelque nouvelle obligation à ce propos. On se souvient en effet que depuis la loi dite Copé-Zimmermann du 27 janvier 2011[3], les sociétés cotées comme les plus grandes SA, SCA et SE sont assujetties au respect d'un quota impératif et minimal de 40 % de représentants de chaque sexe dans leurs organes collégiaux de gestion ou de surveillance. Or, les données chiffrées révèlent que ces dispositions ne sont pas restées lettre morte : en 2024, les femmes représentent 46,7 % des membres des conseils d’administration ou de surveillance des sociétés du CAC 40 et 46,4% de ceux des instances équivalentes des sociétés du SBF 120[4], de sorte que l'objectif de parité se trouve pleinement atteint.
Cette démarche contraignante mais efficace n'était toutefois pas celle prisée par un certain nombre d'Etats membres, qui préféraient jusqu’alors s'en tenir à une évolution spontanée des pratiques, laquelle tardait néanmoins à se concrétiser. C'est dans ce contexte que la directive Women on Boards est finalement intervenue pour généraliser à l'échelle de l'UE la méthode française des quotas impératifs de représentation de chaque sexe fixés par la loi. Plus précisément, la directive offre une alternative aux Etats, en leur permettant de choisir entre un quota de 40 % d'administrateurs et un autre de 33 % de dirigeants au sens large.
Comme l'on pouvait s'y attendre, la France a retenu la première de ces deux options, dans la mesure où sa législation était d'ores déjà conforme à l'exigence correspondante. Ce n'est donc qu'à la marge que le dispositif a en fin de compte évolué sous l'effet de l'ordonnance pour intégrer plus pleinement l'obligation de mixité.
Précisons d'emblée que le périmètre d'application n'a pas été modifié par l'ordonnance. Autrement dit, les sociétés concernées par les quotas le sont toujours, ce qui recouvre, d'un côté, (i) les sociétés cotées, quelle que soit leur taille ou leur forme sociale, et de l'autre (ii) les sociétés dépassant cumulativement sur trois ans des seuils dimensionnels de 250 salariés et de 50M d'euros de chiffre d'affaires annuel ou de total de bilan, là où la directive n'est applicable qu'aux sociétés cotées d'une certaine taille : en bref, et alors même que les autorités françaises prétendent lutter farouchement contre ces hypothèses, on constate là une forme de surtransposition de directive. En sens inverse, l'ordonnance n'étend nullement l'obligation de quotas à des sociétés qui n'y étaient pas précédemment assujetties, ce qui vaut tout particulièrement pour les SAS, fréquemment dotées d'organes de gestion et parfois de grande taille, mais qui demeurent soustraites à toute forme de contrainte sur ce point à raison de leur forme.
Quant aux mesures nouvelles, elles ne tiennent pas aux quotas eux-mêmes, par hypothèse déjà exigés par les textes, mais à leur approfondissement. Pour l'essentiel, l'ordonnance vient ainsi étendre le dispositif à certains administrateurs restés jusqu'alors en marge de celui-ci, en l'occurrence les administrateurs représentant les salariés (ARS) et les administrateurs représentant les salariés actionnaires (ARSA). Concrètement, en tant qu'ils sont élus ou désignés selon des modalités spécifiques, les premiers constitueront un collège distinct, si bien que le quota de 40 % devra être apprécié à part, en fonction des modalités de désignation, et en rappelant que, selon les cas de figure, ces administrateurs forment un collège réduit en nombre, de un à cinq. Quant aux seconds, en tant qu'ils sont désignés par l'assemblée générale à l'instar des autres administrateurs, ils seront intégrés au collège des administrateurs de droit commun pour les besoins de l'application du quota. Notons par ailleurs que ces règles nouvelles sont étendues aux sociétés commerciales dans lesquelles l'Etat détient des participations.
Au-delà, et concernant cette fois les seules sociétés cotées, on peut relever que, conformément au principe « comply or explain, celles-ci devront préciser dans leur rapport sur le gouvernement d’entreprise les mesures prises ou à prendre pour satisfaire à cette obligation d’équilibre au sein des organes de direction de la société, et publier cette information sur le site internet de la société, tout en la communicant à une autorité qui reste à désigner par décret. En outre, lorsque leur direction s'articule autour d'un directoire et d'un conseil de surveillance, des objectifs quantitatifs applicables au directoire et visant l'amélioration de la mixité en son sein seront déterminés par le conseil de surveillance, selon des modalités à préciser, à nouveau, par décret. Cette contrainte propre aux sociétés à direction dualiste ne risque pas d'inverser la tendance concernant le recours à ce mode de direction, aujourd'hui en nette perte de vitesse.
Sur ce point, il convient de distinguer selon les sociétés concernées, avec deux cas de figure à envisager.
D'une part, les sociétés assujetties à la directive, autrement dit les sociétés (i) cotées (ii) employant plus de 250 salariés et (iii) ayant un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros et/ou un total de bilan de 43 millions d’euros, doivent se conformer aux nouvelles règles avant le 30 juin 2026, pour tenir compte des exigences de la directive. Il en résulte que les délibérations relatives aux modifications statutaires induites par l'ordonnance - pour autant que ces modifications soient véritablement requises - devront impérativement intervenir au cours de l'année 2025, en prenant en compte les termes d'un décret d'application encore à venir, spécialement pour la mise en œuvre de l'obligation de représentation équilibrée dans le cadre du collège spécifique des ARS.
D'autre part, les sociétés situées hors du champ d'application de la directive, soit (i) les sociétés cotées de dimension modeste et (ii) les sociétés non cotées de grande taille, bénéficieront d'un délai supplémentaire, puisque les règles nouvelles s'appliqueront à leur égard à compter du 1er janvier 2027.
[1] Ordonnance n° 2024-934 du 15 octobre 2024.
[2] Directive (UE) 2022/2381 du Parlement européen et du Conseil du 23 novembre 2022 relative à un meilleur équilibre entre les femmes et les hommes parmi les administrateurs des sociétés cotées et à des mesures connexes.
[3] Loi n° 2011-103 du 27 avril 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle.
[4] V. le baromètre IFA – Ethics & Board du 29 février 2024.