L'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, pour l'essentiel entrée en vigueur au 1er janvier dernier, a notamment aménagé le droit du cautionnement mais également le droit des sûretés réelles.
Les sûretés sur créances, sommes d'argent et titres ont été soit aménagées (le nantissement de créances, le nantissement de compte titres), soit consacrées (le gage espèces), soit validées (la cession de créance de droit commun à titre de garantie).
En accord avec les principes dégagés par la loi PACTE, la réforme des sûretés, en ce qu'elle concerne les actifs financiers, vise à simplifier leur régime, au besoin en le clarifiant, et à renforcer leur efficacité.
1. LE NANTISSEMENT DE CREANCE
Depuis la réforme des sûretés de 2006[1] le nantissement de créance disposait d'un régime distinct de celui du gage. La pratique y recourrait largement notamment lorsqu'une cession Dailly n'était pas envisageable. Et ce d'autant plus que la jurisprudence avait la même année considéré qu'une cession de créance de droit commun, en dehors des cas prévus par les textes, était constitutive d'un nantissement de ladite créance[2].
A. Une efficacité renforcée
La réforme (cf. article 2363 du Code civil) précise la nature du droit du bénéficiaire du nantissement sur la créance nantie. Après notification du nantissement au débiteur de la créance, le bénéficiaire de la sûreté dispose d'un droit de rétention sur la créance lequel fonde le droit du créancier au paiement de la créance.
Il s'agit d'une exception au régime des nantissements sur meubles incorporels car, selon l'article 2355 du Code Civil, en dehors des cas spécifiquement prévus par les textes, aucun droit de rétention n'est accordé à un bénéficiaire de nantissement sur un meuble incorporel. Le nantissement de créance rejoint donc le nantissement de compte de titre qui bénéficiait déjà de ce droit.
La réforme (cf. article 2361-1 du Code civil) consacre également la pratique en ce qu'elle recourrait à la mise en place de nantissements de rangs successifs portant sur une même créance. C'est la date des actes de nantissement qui constitue l'ordre des rangs successifs.
B. Un régime dans une certaine mesure aligné sur celui applicable aux cessions de créance
Comme pour la cession de créance, l'article 2361 du Code civil prévoit maintenant que la prise d'effet du nantissement entre les parties et vis-à-vis des tiers intervient à la date de l'acte. L'article ne distingue pas selon que le nantissement porte sur des créances présentes ou futures. S'agissant de ces dernières c'est par l'abrogation de l'article 2357 (ancien) du Code civil que les références à la date de naissance de la créance sont supprimées.
De la même manière l'article 2363-1 du Code civil précise quels sont les droits du débiteur de la créance nantie à l'opposabilité des exceptions. Toutes les exceptions inhérentes à la dette sont opposables au bénéficiaire du nantissement ainsi que celles nées des rapports du débiteur de la créance nantie avec le constituant préalablement à la date à laquelle le nantissement lui aura été rendu opposable (notification).
Le nouvel article 2364 du Code civil vient enfin préciser les modalités de conservation des sommes reçues par le bénéficiaire du nantissement au titre de la créance nantie avant l'échéance de l'obligation garantie. Ces sommes doivent être conservées, à titre de garantie, sur un compte spécialement affecté. Bien entendu à charge de restitution en cas de paiement des obligations garanties.
C. Regard croisé avec le droit des procédures collectives
Le droit de rétention accordé au bénéficiaire d'un nantissement de créance vient renforcer l'efficacité de ce nantissement en cas de procédure collective du constituant (sauvegarde, redressement ou liquidation) s'agissant des créances nées à la date d'ouverture de la procédure. En effet, les créanciers bénéficiant d'une sûreté assortie d'un droit de rétention (contrairement à ceux bénéficiant d'un simple droit de préférence) priment les autres créanciers dans le cadre de la procédure et ne sont pas soumis au classement des créanciers en cas de liquidation judiciaire tel qu'il ressort de l'article L. 643-8, I du Code de Commerce[3]
Toutefois (i) l'efficacité de ce droit divise la doctrine, ainsi les premières décisions qui seront prises sur ce fondement seront instructives et (ii) cette exception ne concerne pas réellement le nantissement de solde de compte car l'article 2360 du Code civil (qui prévoit que la créance s'entend du solde du compte au jour de la réalisation de la sûreté ou de l'ouverture d'une procédure collective) reste inchangé[4].
Enfin et surtout l'article L.622-21, IV du Code de commerce, tel que modifié par l'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant réforme des procédure collectives, prévoit que l'assiette d'une sûreté ne peut être accrue postérieurement à l'ouverture d'une procédure collective. Cela laisse à penser que les créances nées postérieurement à l'ouverture d'une procédure collective échapperaient aux effets du nantissement et constitue une différence majeure avec les cessions de créances Dailly dont la réforme confirme la résistance à la procédure collective entérinant ainsi les conclusions des arrêts Cœur Défense[5].
L'efficacité du nantissement de créance bien que renforcée, sera-t-elle suffisante pour faire concurrence à l'utilisation de la cession de créance de droit commun à titre de garantie ?
2. LA CESSION DE CREANCE DE DROIT COMMUN A TITRE DE GARANTIE
A. La possibilité de faire usage de la cession de créance de droit commun à titre de garantie
L'ordonnance de septembre 2021, dans un souci de modernisation du droit des sûretés visant à l'attractivité internationale de la loi française[6], vient consacrer la possibilité de faire usage de la cession de créance de droit commun à titre de garantie alors que la jurisprudence l'avait jusqu'ici écartée considérant qu'elle était alors constitutive d'un simple nantissement[7]. C'est l'article 2373 du Code civil qui énonce le principe de cession de la propriété d'une créance à titre de garantie, laquelle doit être nécessairement prévue contractuellement.
Cette option est maintenant ouverte lorsque les conditions de mise en place d'une cession Dailly ne sont pas remplies (notamment : en présence de prêteurs autres que des banques ou établissements assimilés, dans le cas de concours financiers ne prenant pas la forme d'un crédit).
B. Un régime dans une certaine mesure aligné sur celui applicable aux cessions Dailly
Comme pour le nantissement et la cession Dailly, la cession de droit commun prend effet entre les parties et vis-à-vis des tiers à la date de l'acte (article 1323 du Code civil) et ceci que les créances cédées soient présentes ou futures.
Il ne fait pas de doute que la cession peut concerner une ou plusieurs créances présentes ou futures et les éléments d'identification de la ou des créances cédées (prévus à l'article 2373-1 du Code civil), sont identiques à ceux retenus pour le nantissement de créance et la cession Dailly.
Les sommes qui seraient perçues par le bénéficiaire de la cession au titre des créances cédées sont (i) imputées sur la créance garantie lorsque qu'elle est échue ou (ii) conservées par le bénéficiaire et traitées comme un gage espèces lorsque l'obligation garantie n'est pas échue conformément à l'article 2373-2 du Code civil.
L'article 2373-3 prévoit le dénouement automatique de la cession en cas de paiement de la créance garantie. Cette restitution de plein droit rejoint ainsi la jurisprudence applicable aux bordereaux Dailly[8]. En pratique les constituants ne manqueront toutefois pas de s'assurer qu'ils disposent bien de la preuve de l'extinction de l'obligation garantie et de l'échéance de la cession, tout particulièrement si cette dernière a fait l'objet d'une notification au débiteur de la créance.
C. Regard croisé avec le droit des procédures collectives
Comme pour le nantissement de créance, le désalignement avec la cession Dailly intervient à compter de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation. Comme nous l'avons souligné plus haut, il n'est alors plus possible d'accroitre l'assiette de la sûreté (cf article L. 622-21, IV du Code de commerce) et seules les cessions Dailly échappent à cette interdiction. Le législateur aurait pu arbitrer dans un sens différent mais il consacre ainsi la proximité entre le nantissement et la cession de créance de droit commun tout en sanctuarisant la cession Dailly. A ce titre le nantissement de créance et la cession de créance de droit commun à titre de garantie présentent une moindre sécurité juridique que la cession Dailly.
3. LA CESSION DE SOMMES D'ARGENT A TITRE DE GARANTIE
A. Modalités de mise en place
La réforme des sûretés vient consacrer la pratique du gage espèces afin d'assurer l'attractivité internationale du droit français. Elle met fin au doute sur le régime applicable au gage espèces (cession fiduciaire ou gage) qui variait selon que les sommes remises en garantie étaient ou non individualisées dans le patrimoine du bénéficiaire.
La cession doit être conclue par écrit à peine de nullité (article 2374-1 du Code civil) mais c'est la remise des sommes qui détermine l'opposabilité aux tiers de la sûreté (article 2374-2 du Code civil). S'il ne fait pas de doute que des remises successives peuvent être effectuées si l'accord écrit des parties le prévoient, ces dernières ne peuvent plus intervenir après l'ouverture d'une procédure collective pour les raisons dont nous avons déjà parlé plus haut.
Les articles 2374 à 2374-6 du Code civil prévoient la possibilité de recourir à la cession de somme d'argent à titre de garantie assortie, pour le bénéficiaire, de la libre disposition des sommes remises en pleine propriété. Toutefois, l'article 2374-3 prévoit que les parties peuvent déroger au principe de libre disposition des sommes et en prévoir l'usage. Ainsi il est également possible de prévoir que les sommes remises à titre de garantie seront individualisées.
Selon l'article 2374-4 du Code civil, (i) les fruits et produits des sommes transférées à titre de garantie viennent augmenter l'assiette de la garantie si les sommes sont individualisées dans le patrimoine du bénéficiaire et que ce dernier ne peut en faire usage ou (ii) il peut être convenu d'un intérêt au profit du constituant si le bénéficiaire peut faire usage des sommes reçues. Les parties peuvent toutefois convenir d'autres modalités de rémunération ou d'usage des fruits. Dans ce cas également la liberté contractuelle prévaut.
B. Réalisation et débouclage
A défaut de paiement de l'obligation garantie, le bénéficiaire peut (sans que cela soit une obligation) imputer les sommes détenues sur la créance garantie.
En cas de paiement de la créance garantie ou de surplus des sommes détenues après affectation au paiement ces dernières sont restituées au constituant comme le prévoit l'article 2374-5.
4. LE NANTISSEMENT DE COMPTE DE TITRES
Le nantissement de compte de titres n'est pas profondément réformé mais des réponses sont apportées à certaines difficultés rencontrées en pratique.
A. Réponses apportées aux difficultés pratiques
La première réponse apportée par l'ordonnance concerne la nécessité ou non de disposer d'un compte bancaire ouvert à la date de remise de la déclaration de nantissement lorsque le nantissement porte sur un compte qui n'est pas tenu par un intermédiaire habilité. Il convient dans ce cas d'ouvrir un compte bancaire destiné à recueillir les sommes produites par les titres figurant sur le compte titres nanti. Ce n'était pas toujours possible en pratique et un doute persistait sur la possibilité de procéder au nantissement du compte titres sans ce compte bancaire.
La réforme vient confirmer (i) que le nantissement peut avoir lieu sans que le compte bancaire soit ouvert et (ii) que ce compte bancaire peut être ouvert par la suite (à tout moment avant la réalisation du nantissement) et, dans ce cas, que les sommes figurant sur le compte sont réputées incluses dans l'assiette du nantissement dès l'origine. Les parties peuvent également convenir de ne pas faire entrer les fruits et produits dans l'assiette du nantissement en décidant de ne pas ouvrir de compte. A défaut d'accord, en l'absence d'ouverture d'un compte bancaire, au moment de la réalisation les fruits et produits en toutes monnaient n'entrent pas dans l'assiette du nantissement.
La réforme consacre également la pratique consistant à procéder à des nantissements de rangs successifs. Le rang dépend de l'ordre de création des nantissements, lequel dépend de la date figurant sur la déclaration de nantissement.
B. Réalisation du nantissement
Dans un souci d'harmonisation, l'ordonnance prévoit que (i) les délais applicables en cas de réalisation sont identiques quelle que soit la nature des titres concernés et (ii) tous les titres négociés sur une plateforme bénéficient du mode de réalisation simplifié des titres cotés.
Les dispositions relatives à la réalisation d'un nantissement sur des titres qui ne sont pas négociés sur une plateforme sont maintenant des dispositions propres et les dispositions relatives à la réalisation du gage commercial antérieurement appliquées sont abrogées.
C. Regard croisé avec le droit des procédures collectives
Le droit de rétention qui bénéficiait déjà au nantissement de compte de titres est maintenu (l'article L. 211-20 du Code monétaire et financier est inchangé à cet égard). Toutefois, les dispositions prohibant l'accroissement de l'assiette de la sûreté à compter du jugement d'ouverture d'une procédure collective déjà mentionnées plus haut ne permettent pas d'inclure les fruits et produits ou les nouveaux titres dans l'assiette du nantissement à compter de cette date. Une exception devrait néanmoins exister si les nouveaux titres ne viennent pas augmenter l'assiette du nantissement mais (i) se substituent à des titres existants ou (ii) s'y ajoutent sans pour autant que la valeur de l'assiette n'augmente (par rapport à sa valeur à la date du jugement d'ouverture). Cette dernière supposition reste toutefois à confirmer.
[1] Ord. n° 2006-346, 23 mars 2006 relative aux sûretés.
[2] Cass. com., 19 déc. 2006, n° 05-16.395.
[3] Modifié par l'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant réforme des procédures collectives prévues au livre VI du Code de commerce
[4] Le rapport au Président sur la réforme prend la peine de souligner que le droit de rétention ne modifiera pas le droit du bénéficiaire par rapport à ce qu'il était antérieurement s'agissant du nantissement de solde de compte
[5] Article L. 622-21, IV du Code de commerce dans son alinéa 3
[6] Comme cela est rappelé par le rapport au Président
[7] Cass. com., 19 déc. 2006, n° 05-16.395
[8] Cass. 1re civ., 19 sept. 2017, n° 04-18.372.