3 décembre 2024
L'article 25 de la loi Attractivité du 13 juin 2024 ajoute un nouvel article L.311-16-1 au Code de l'organisation judiciaire qui instaure une compétence territoriale unique du contentieux des sentences rendues en matière d'arbitrage international, devant la chambre internationale de la Cour d'appel de Paris. Cette réforme est incomplète, en omettant de traiter, explicitement, la question des recours contre les sentences impliquant des personnes publiques françaises ou des contrats régis par le droit administratif français. En l'état de la jurisprudence du Tribunal des conflits, ceux-ci restent soumis au juge administratif. Ce dualisme de régime est peu lisible par les utilisateurs, notamment étrangers.
L'un des derniers textes adopté par le Parlement, avant la dissolution de l'Assemblée Nationale le 9 juin 2024, est la loi n°2024-537 promulguée le 13 juin 2024 visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France, dite loi « Attractivité ».
Cette loi, qui s'apparente à une forme de cavalier législatif par la multiplicité et la variété des sujets traités qui concernent pour l'essentiel le droit des sociétés, le droit boursier et le droit financier, crée, par son article 25, une nouvelle disposition du Code de l'organisation judiciaire : l'article L.311-16-1.
Celui-ci dispose :
« La cour d'appel de Paris, qui comprend une chambre commerciale internationale, connaît :
1° Des recours en annulation des sentences rendues en matière d'arbitrage international, dans les cas et les conditions prévus par le code de procédure civile ;
2° Des recours contre une décision qui statue sur une demande de reconnaissance ou d'exequatur d'une sentence rendue en matière d'arbitrage international, dans les cas et les conditions prévus par le même code. »
L'article 29 (et dernier) de cette loi Attractivité prévoit des dates variables d'entrée en vigueur de ses dispositions. En ce qui concerne son article 25, il est prévu une entrée en vigueur « à une date fixée par décret en Conseil d'Etat, et au plus tard le premier jour du douzième mois suivant la promulgation de la présente loi [soit au plus tard le 1er juin 2025]. Il n'est applicable qu'aux recours formés après son entrée en vigueur. »
L'origine et l'histoire législative de ce texte invitent à s'interroger sur la portée de la réforme introduite en droit français de l'arbitrage. Si le texte instaure une unification de compétence territoriale devant la chambre internationale de la Cour d'appel de Paris pour le contentieux des recours contre les sentences arbitrales internationales ou les décisions statuant sur les demandes de reconnaissance ou d'exequatur de telles sentences rendues entre opérateurs privés, la rédaction du texte interroge sur le point de savoir si cette unification s'étend aux sentences arbitrales rendues dans des affaires impliquant des personnes publiques françaises ou des contrats soumis au droit administratif français.
La loi du 13 juin 2024 trouve son origine dans une proposition de loi émanant de députés, qui n'a, par conséquent, pas été soumise au Conseil d'Etat pour analyse avant la discussion parlementaire. Cette proposition, enregistrée à la présidence de l'assemblée le 12 mars 2024, a en outre fait l'objet d'une procédure accélérée. Si cette dernière n'a pas empêché certaines de ses dispositions de faire l'objet de discussions actives lors de son examen par chaque assemblée et en commission mixte paritaire, l'analyse des débats montre que tel n'a pas été le cas de la disposition relative à l'arbitrage, finalement devenue article 25 de la loi.
La seule proposition d'amendement, discutée à l'assemblée, avait pour objet de ne pas réserver la compétence à la seule chambre internationale de la Cour d'appel de Paris, mais de prévoir que chaque cour d'appel devrait accueillir une telle formation internationale. Le rapporteur de la proposition a émis un avis défavorable, soulignant notamment que sur 487 affaires d'arbitrage international traitées entre 2019 et 2022, 404 l'avaient été à Paris, soit 83 % et qu'une centralisation du contentieux accroissait la sécurité juridique et l'attractivité économique en permettant à la France de disposer d'un pôle d'expertise et de connaissance. Mis au vote, cet amendement n'a pas été adopté et le texte voté est resté identique à celui de la proposition[1].
On relèvera aussi que l'exposé des motifs de la proposition de loi indiquait, à propos de l'article 11, devenu article 25 de la loi Attractivité, qu'il avait pour objet de prévoir « la spécialisation de la cour d'appel de Paris pour les recours en matière d'arbitrage international, afin de conforter la place de Paris et de renforcer son attractivité. La désignation de la cour d'appel de Paris est notamment liée à la spécificité de la chambre commerciale internationale qu'elle comprend. La chambre commerciale internationale de la cour d'appel de Paris aura ainsi notamment vocation à se voir attribuer le traitement des recours en matière d'arbitrage international au sein de la cour d'appel. »
Si la disposition proposée, et finalement adoptée, donne une existence législative à la chambre internationale de la Cour d'appel de Paris, cet exposé affiche un objectif clair d'unifier, devant cette chambre spécialisée de cette cour d'appel, le traitement des recours, introduits en France, en matière d'arbitrage international.
Une telle unification de compétence territoriale devant la Cour d'appel de Paris n'est pas inconnue du droit processuel français. Elle existe, par exemple, pour les recours à l'encontre des décisions de l'Autorité de la concurrence (C. Comm., L.464-7 et L. 464-8) ou de certaines décisions de l'Autorité des Marchés Financiers (C. mon. Fin., art. L.621-30).
En ce qu'elle consacre une situation qui concernait déjà, dans les faits, une grande majorité des recours en matière d'arbitrage international, l'adoption de cette disposition, qui voit la création d'un nouvel article L.311-16-1 du code de l'organisation judiciaire, ne constitue pas une révolution. Tout au plus contribue-t-elle à l'effort de lisibilité et d'efficacité du droit français, dans la veine de celui déjà entrepris par la réforme du droit de l'arbitrage de 2011.
Les recours contre les sentences rendues en matière d'arbitrage international, ou contre les décisions statuant sur des demandes de reconnaissance ou d'exequatur de telles sentences, devront dont être introduits devant la chambre internationale de la Cour d'appel de Paris, à compter de l'entrée en vigueur de ce texte, soit en l'état et sauf autre décision qui serait prise en Conseil d'Etat, à compter du 1er juin 2025.
La rédaction de cette disposition a cependant ouvert une autre question quant à sa portée.
Le texte proposé, et adopté, vise les recours contre les « sentences rendues en matière d'arbitrage international » ou les décisions statuant sur une demande de reconnaissance ou d'exequatur de telles sentences.
Le droit français de l'arbitrage retient du critère d'internationalité une vision essentiellement économique en qualifiant d'international, l'arbitrage qui « met en cause les intérêts du commerce international »[2. Selon la jurisprudence, le caractère interne ou international de l'arbitrage ne dépend pas du droit applicable au fond ou à la procédure, ni de la volonté des parties, ni encore de leur nationalité, mais de la nature de l'opération économique qui est à l'origine du litige.
Dès lors, le fait que l'une des parties impliquées dans le litige soit une personne publique ou que le contrat, objet du litige, soit régi par un droit administratif national n'affecte pas, en théorie, la qualification interne ou internationale de l'arbitrage susceptible d'en découler. Partant, et au vu de sa rédaction, la règle d'unification instituée par l'article 25 de la loi du 13 juin 2024 pourrait avoir vocation à s'appliquer à toute sentence internationale, quels que soient son objet ou la nature juridique des parties impliquées.
A dire vrai, une telle interprétation serait compatible avec la vision adoptée depuis longtemps par la jurisprudence judiciaire française selon laquelle la prohibition faite à un état ou une personne publique de compromettre « est limitée aux contrats de droit interne et sans application pour les conventions ayant un caractère international »[3] et ne s'applique pas aux contrats « passés pour les besoins et dans des conditions conformes aux usages du commerce »[4].
Pourtant, le juge administratif français et le Tribunal des conflits ont, plus récemment, retenu une approche différente pour imposer que le contrôle des sentences arbitrales impliquant une personne publique ou un contrat administratif soit soumis au juge administratif[5]. On ne peut s'empêcher de relever, néanmoins, que cette exigence, traduction du dualisme « à la française », ne s'est manifestée qu'à l'occasion de litiges dans lesquels la personne publique était « française » ou le contrat administratif en cause était régi par le droit administratif français ou concernait des biens publics situés en France. Ceci conduit à une asymétrie, regrettable au moins en termes de lisibilité, dépendante de la « nationalité » de la personne impliquée ou du contrat en cause.
Cela dit, il est probable, notamment à l'examen de l'exposé des motifs de la proposition de loi comme des brefs débats ayant abordé cette disposition, que les promoteurs de celle-ci, comme le législateur dans son ensemble, n'ont pas eu à l'esprit la dichotomie de régimes de contrôle qui existe aujourd'hui en France.
On pourrait aussi interroger le fait qu'une modification du seul Code de l'organisation judiciaire soit le bon vecteur de règlement d'une telle question qui touche les deux ordres de juridiction.
Les premiers commentaires publiés après la promulgation du 13 juin 2024[6] l'illustrent clairement : les observateurs s'accordent en fait à considérer que la question du régime des recours contre des sentences arbitrales, même « internationales », impliquant des personnes publiques françaises ou des contrats administratifs de droit français n'a pas été réglée par ce texte.
L'un d'eux[7] souligne que le renforcement récent du contrôle de la conformité à l'ordre public des sentences arbitrales par le juge judiciaire pourrait avoir créé les conditions permettant d'envisager désormais une unification plus complète.
L'objectif de lisibilité et d'attractivité de la place de Paris la rendrait incontestablement souhaitable.
[1] Sous réserve d’une modification de rédaction très mineure, constituée de l’ajout d’articles définis.
[2] Art. 1504 CPC
[3] CA Paris, 10 avril 1957, Myrtoon Steamship
[4] Cass. Civ .1, 2 mai 1966, Galakis
[5] T. confl., 17 mai 2010, Inserm ; T. confl., 24 avril 2017, Synd. Mixte des aéroports de Charente [SMAC]
[6] J. Jourdan-Marques, Le législateur torpille les jurisprudences INSERM et SMAC, Dalloz 2024, p. 1296 et suiv. ; Ph. Coleman, Unification du contentieux de l’arbitrage international en faveur de la Cour d’appel de Paris ?, Droit Administratif, n°8-9, août-septembre 2024
[7] J. Jourdan-Marques, Le législateur torpille les jurisprudences INSERM et SMAC, Dalloz 2024, p. 1296 et suiv.