30 septembre 2020
Alerte Client | UE | Concurrence & Commerce International
Dans le cadre de la révision du Règlement d’exemption par catégories applicable aux accords verticaux[1] et ses lignes directrices, venant à expiration le 31 mai 2022, la Commission a publié, le 8 septembre dernier, ses conclusions sur la phase d’évaluation menée depuis octobre 2018 (version intégrale ici).
Ce document est le résultat de plus de dix-huit mois d’une première phase d’évaluation ayant pour objectif d’identifier les difficultés issues de l’application du Règlement et de ses Lignes directrices dans leur rédaction actuelle et ainsi de déterminer si et dans quelle forme ces textes doivent être renouvelés.
Cette évaluation a été réalisée sur la base de contributions de parties prenantes (entreprises et associations d’entreprises, juristes, autorités nationales de concurrence) ainsi que d’une étude indépendante commandée par la Commission. Elle reprend en outre les conclusions de la Commission dans le cadre de l’enquête sectorielle sur le e-commerce (accessible ici).
Il ressort de l’évaluation que le Règlement et ses Lignes Directrices restent pertinents, en ce qu’ils assurent un certain niveau de sécurité juridique pour les parties prenantes et leur permet notamment d’évaluer elles-mêmes la conformité de leurs accords au droit de la concurrence, générant ainsi d’importantes économies.
Sans surprise, l’évaluation a néanmoins montré que l’environnement économique actuel est très différent du contexte dans lequel le Règlement a été adopté il y a maintenant dix ans. Les règles actuellement en vigueur ont été édictées à une époque où le commerce en ligne n’était qu’à ses débuts et alors qu’il existait une plus ou moins grande réticence de la part de certains opérateurs économiques au changement de modèle, ce qui justifiait alors la mise en place d'un cadre juridique plus strict visant à accompagner le développement du commerce en ligne.
Depuis 2010, le commerce en ligne n’a cessé de croître et continue de se développer de façon exponentielle. La Commission constate dans ce contexte que le consommateur d’aujourd’hui recherche une offre « omni canal » lui permettant d’alterner librement entre les différents canaux de ventes, en ligne et hors ligne, impliquant de préserver les deux canaux.
L’évaluation a montré que cet essor du commerce en ligne génère de nouvelles difficultés pour appréhender et mettre en œuvre certaines dispositions du Règlement et de ses Lignes Directrices désormais inadaptées.
Les principales difficultés identifiées dans le cadre de l’évaluation sont présentées ci-dessous.
De façon générale, la Commission constate qu’il ressort de l’évaluation qu’il subsiste une trop grande marge de manœuvre dans la mise en œuvre des règles, engendrant un risque important de divergences d'interprétation par les autorités de concurrence et juridictions nationales qui réduit inévitablement la sécurité juridique apportée par le Règlement.
Les parties prenantes ont notamment insisté sur la nécessité de mettre à jour les textes au regard de la jurisprudence européenne la plus récente (notamment les arrêts Coty[2] ou Auto 24[3]) et des décisions des autorités nationales de concurrence (par exemple, l'affaire Asics[4] en Allemagne).
La Commission relève que les modèles de distribution ont beaucoup évolué et note en particulier un recours croissant à la distribution sélective, qui offrirait aux fournisseurs une plus grande maîtrise sur la façon dont sont revendus leurs produits.
Elle relève également que la transparence tarifaire a augmenté avec le développement du commerce en ligne. Parallèlement, elle note que si une telle transparence peut permettre aux consommateurs de réaliser de meilleurs affaires, elle a aussi accru le phénomène de « free riding ». Elle ajoute que si la transparence tarifaire peut être bénéfique aux consommateurs, elle peut affecter la concurrence entre acteurs d'un même marché sur d'autres paramètres tels que la qualité, l'attractivité de la marque et l'innovation.
Sur ce sujet, la Commission retient de l’évaluation que les règles encadrant ce mode de distribution ne sont pas suffisamment claires et adaptées aux nouvelles conditions du marché, de sorte que des évolutions sont à attendre en particulier en ce qui concerne :
La Commission constate une forte augmentation des clauses de parité dans les accords verticaux, notamment dans le secteur de la grande consommation et plus particulièrement dans le secteur du tourisme, dont les modèles de distribution ont drastiquement évolué depuis 2010 avec l’apparition des agences de voyage en ligne (OTAs).
Ces clauses peuvent être exigées de la part des distributeurs (c’est surtout le cas dans le secteur de la grande consommation) pour éviter de longues négociations avec les fournisseurs et ainsi maintenir des prix compétitifs. Elles peuvent aussi être imposées par les plateformes elles-mêmes.
L’évaluation a montré que le Règlement et ses Lignes Directrices ne sont pas suffisamment clairs sur la façon dont la compatibilité de telles clauses avec l’article 101 doit être évaluée, ce qui pouvait mener à un traitement différencié par les différentes autorités nationales, générant nécessairement une situation d'insécurité juridique. L’étude commandée par la Commission confirme qu’une plus grande clarté est nécessaire sur ce point.
Les opinions des parties prenantes sur les effets de telles clauses divergent et les différents éléments recueillis par la Commission ont confirmé que les potentiels effets de telles clauses étaient mitigés, en fonction de la nature de la clause en question et du marché.
Bien que la plupart des personnes interrogées semblent considérer que les Lignes Directrices offrent un niveau de sécurité juridique adéquat, l’évaluation a mis en lumière certaines difficultés concernant la qualification d’accord d’« agence »[5], permettant d’échapper à l’application de l’article 101§1 du TFUE.
Certaines parties prenantes ont en effet souligné que les Lignes Directrices n’étaient pas suffisamment précises quant au niveau et aux types de risques devant être supportés par un distributeur pour considérer qu’une relation verticale constituait bien un contrat d’agence au sens du Règlement.
L’évaluation a montré qu’il subsistait ainsi des difficultés dans la mise en œuvre de cette notion, en particulier sur la question de savoir comment l’appliquer aux plateformes en ligne, dont les relations avec les fournisseurs ne peuvent être appréhendées de la même manière que les relations plus « traditionnelles » entre fournisseurs et distributeurs.
L’évaluation a d’ailleurs montré l’absence de consensus entre les différentes autorités nationales sur la manière dont cette notion devait être appliquée aux plateformes.
Enfin, la Commission évoque certaines difficultés concernant l’application de la notion d’agence aux relations tripartites faisant intervenir un intermédiaire qui se retrouve soumis aux conditions commerciales convenues entre le fournisseur et le client final.
De manière globale, l’évaluation montre que les Lignes Directrices offrent un niveau de sécurité juridique raisonnable en ce qui concerne les restrictions verticales contenues dans les relations de franchise.
Néanmoins, les parties prenantes ont identifié plusieurs aspects des règles applicables aux relations de franchises qui ne semblent pas suffisamment clairs, notamment en ce qui concerne :
A la suite de cette première phase d’évaluation, la Commission va lancer une « analyse d’impact » au cours de laquelle elle examinera de manière approfondie les difficultés recensées et à laquelle les parties prenantes pourront à nouveau participer dans le cadre d’une nouvelle consultation publique prévue pour la fin de l’année 2020.
Après cette analyse d’impact, la Commission devrait publier un premier projet de règles révisées, qu’elle soumettra aux observations des parties prenantes, au cours de l’année 2021 (Pour plus de détails sur le processus d’évaluation, vous pouvez consulter la page web dédiée de la DG Concurrence).
[1] Règlement n° 330/2010 du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101§3 du TFUE à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées
[2] Décision du 6 décembre 2017, aff. C-230/16, Coty Germany GmbH / Parfümerie Akzente GmbH
[3] Décision du 14 juin 2012, aff. C-158/11, Auto 24 SARL / Jaguar Land Rover France SAS
[4] Décision du 26 aout 2015, n° B2-98/11 (résumé disponible ici). Dans cette décision, l’Autorité de la concurrence allemande a considéré que l’interdiction imposée à un tiers d’utiliser les marques ASICS sur son site internet et l’interdiction d’utiliser des sites de comparaison de prix constituaient une restriction de concurrence contraire à l’article 101§1 du TFUE.
[5] Voir notamment §§12-21 des Lignes Directrices
Cette publication électronique n’a qu’une vocation d’information générale non exhaustive. Elle ne saurait constituer ou être interprétée comme un acte de conseil juridique du cabinet Gide.