25 mars 2020
La crise causée par la pandémie actuelle présente un défi particulier pour les sociétés cotées qui doivent concilier leurs obligations règlementaires d'information et l'incertitude sur leur activité et leurs perspectives.
On sait que les sociétés cotées sont tenues par l'obligation de rendre publiques, dès que possible, les informations privilégiées les concernant directement, c’est-à-dire les informations non-publiques présentant un caractère suffisamment précis et qu'un investisseur raisonnable serait susceptible de prendre en considération dans sa décision d'investissement.
Au surplus, les règles pour différer la publication d'informations privilégiées sont très restrictives. Il en ressort que, par principe, l'émetteur doit régulièrement mettre le marché à niveau des modifications significatives concernant ses activités et ses perspectives, sans pouvoir attendre la prochaine échéance d'information périodique.
La crise actuelle ne délie pas les émetteurs de leurs obligations en la matière. Elle doit également être intégrée dans les résultats annuels et dans les perspectives.
C’est ainsi que le 28 février - à un moment où la crise affectait principalement l'Asie et les activités liées aux voyages aériens - l’AMF a invité les émetteurs à communiquer sans délai par voie de communiqué sur l'impact de l’épidémie sur l’activité, la performance ou les perspectives, et a recommandé que les émetteurs réévaluent périodiquement l'impact connu et anticipé de la crise sur l’activité et les perspectives quant à son caractère significatif et/ou son montant.
De même, l'ESMA, dans sa communication du 12 mars a rappelé que les émetteurs devaient, en application de la règlementation, publier dès que possible toute information pertinente concernant l'impact du COVID-19 sur leur situation financière et leurs perspectives.
L'AMF a semblé marquer une certaine tolérance pour une communication sur ce sujet à l'occasion de la publication de résultats[1]. Le communiqué de l'Autorité mentionnait en effet : "du fait de la sensibilité nouvelle de certaines informations (zones géographiques d’activité, de production, de sous-traitance, d’approvisionnement, salariés concernés), il est recommandé aux émetteurs de communiquer ces informations, à l’occasion de la présentation de leurs résultats annuels".
La pratique dominante des émetteurs a été de communiquer sur des plans d'économies et sur leur niveau de liquidité pour rassurer le marché. Plusieurs émetteurs ont également décidé de suspendre leur "guidance" dans l'attente d'une présentation détaillée de l'impact de la crise sur leurs résultats et leurs perspectives dans le cadre de la publication de leurs résultats annuels. De nombreux émetteurs ont également communiqué.
La communication doit être adaptée au cas par cas afin de mettre à niveau le marché dès que possible sans créer d'effet de panique. On notera qu'une communication publique active permettra de maintenir un dialogue constant avec les investisseurs et les analystes alors qu'une stratégie de communication silencieuse condamnera largement les équipes d'"investors relations" à une politique de "no comment" afin d'éviter le risque de communication sélective.
Concernant les comptes, l'apparition de cette pandémie doit par ailleurs être considérée, si nécessaire dans les états financiers au 31 décembre 2019, comme un événement post-clôture nécessitant des informations.
Les sociétés cotées ayant clôturé leurs comptes au 31 décembre 2019 doivent déposer avant le 30 avril 2020 leur rapport financier annuel comprenant leur rapport de gestion, lequel doit comprendre une description des principaux risques et incertitudes auxquels la société est confrontée. A ce titre, les émetteurs sont invités à insérer les mentions qu’ils considèreront adaptées au vu de l’épidémie de coronavirus à la date de dépôt de leur rapport financier annuel. Pour les émetteurs qui établiront un document d’enregistrement universel, la section « facteurs de risques » pourra si nécessaire aborder plus précisément l’exposition économique du groupe coté à cette épidémie, ainsi que les éventuelles mesures prises.
De même, l'ESMA a précisé que les émetteurs devaient être transparents sur l'impact déjà constaté et potentiel du COVID-19 sur la base d'une analyse quantitative et qualitative de leur activité, de leur situation financière et leur performance économique dans le cadre de leur publication financière annuelle (ou intercalaire si le rapport annuel n'a pas été finalisé).
Dans son communiqué du 23 mars, l'AMF a rappelé que les facteurs de risques et les perspectives précédemment annoncés doivent être réévalués à la lueur du contexte actuel.
L'AMF a notamment alerté les émetteurs contre la tentation, face à l'incertitude de la crise, de se réfugier derrière des formules "fourre-tout" (ou "one size fits all"). Les impacts étant potentiellement très différents d’une entreprise à l’autre, selon les activités et les clients, et selon les ressources des émetteurs, l’information donnée à ce titre doit être circonstanciée et adaptée à chaque situation spécifique.
L'AMF demande que les impacts constatés ou anticipés, lorsqu’ils sont significatifs et suffisamment précis, soient mentionnés, ainsi que les mesures de gestion du risque mises en place, avec les hypothèses retenues dans les communications d’impact estimé.
Concernant les perspectives, l'AMF a rappelé que la communication au marché des perspectives d’activité et de performance attendues pour l’année en cours devait s'accompagner de la description des principales hypothèses sous-jacentes. Ainsi, même en l’absence d’information précise à communiquer, les émetteurs qui communiquent des perspectives 2020 au marché sont invités à indiquer quelles hypothèses ont été retenues dans leur établissement, eu égard aux impacts potentiels de l’épidémie.
On rappellera qu'en application du Règlement prospectus, les prévisions ou estimations de bénéfice en cours doivent être incluses dans l'URD. Comme le rappelle l'AMF dans son communiqué du 23 mars, l'URD doit inclure, pour les prévisions ou estimations antérieurement publiées qui ne seraient plus valables, une déclaration de leur caducité, soit en incluant une nouvelle prévision avec une description des hypothèses sous-jacentes, soit, le cas échéant, en indiquant qu’une nouvelle prévision ne peut être fournie dans l’immédiat compte tenu de l’incertitude générale. L'AMF souligne que les modifications de prévisions effectuées à l'occasion de l'URD doivent faire l'objet d'un communiqué de presse.
A un moment où l'activité, les résultats financiers et les perspectives des émetteurs sont confrontés à l'incertitude liée à l'impact de la pandémie, il est essentiel pour les sociétés d'être très rigoureuse dans la gestion de l'information privilégiée et à veiller à ne pas transmettre à certains investisseurs des informations qui pourraient ex post facto considérées comme telles.
De même, les personnes qui, par leurs fonctions, pourraient être considérées comme potentiellement en possession d'information privilégiée, doivent être prudentes avant d'engager toute opération financière. On rappellera que l'interdiction d'utiliser de l'information privilégiée s'applique quel que soit le sens probable que pourrait avoir l'information privilégiée si elle était rendue publique, de même que s'il est impossible de raisonnablement conclure sur le sens dans lequel elle jouerait.
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[1] La position de l'AMF part du principe que la plupart des émetteurs sont en période d'arrêté de leurs comptes. Pour les sociétés avec une clôture non calée avec l'année calendaire, il conviendrait de transposer cette position à leur plus proche publication de résultats intercalaire.
Cette publication électronique n’a qu’une vocation d’information générale non exhaustive. Elle ne saurait constituer ou être interprétée comme un acte de conseil juridique du cabinet Gide.
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