6 avril 2022
La Commission européenne a enfin publié le 23 février 2022 sa proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Attendu de longue date, ce texte a vocation à s'appliquer à de nombreuses entreprises, à leur imposer une série d'obligations donnant une consistance tangible au devoir de vigilance, et à aménager une palette de sanctions relativement diverses.
C'est peu dire que le texte était attendu fébrilement. Alors que le Parlement européen lui avait de manière inhabituelle transmis un projet clé en main il y a un an par une résolution adoptée le 10 mars 2021, la Commission européenne n'en finissait plus de repousser la divulgation de sa propre proposition en matière de devoir de vigilance des entreprises, dans sa quête de consensus sur un sujet livré à d'intenses pressions de tout bord. Cette publication est finalement intervenue le 23 février dernier, marquant ce faisant une étape décisive dans le processus d'adoption du texte définitif qui passe désormais par un accord avec le Parlement et le Conseil.
Cette proposition s'inscrit plus généralement dans le processus de réorientation de la gouvernance des entreprises vers une stratégie de développement durable. Outre l'implication recherchée des actionnaires en ce sens, comme en témoigne la révision de la directive sur les droits des actionnaires dans les sociétés cotées intervenue en mai 2017 en vue de "promouvoir l'engagement à long terme des actionnaires", il est également nécessaire de prendre en compte de manière plus prégnante l'impact sociétal de ces entreprises aux fins de limiter les incidences négatives de leurs activités, plus spécialement en matière de droits de l'homme et d'environnement.
Deux démarches réglementaires sont possibles pour ce faire, qui ne s'excluent pas nécessairement l'une l'autre. La première consiste à accroître la transparence et l'information du public, au profit duquel on impose la divulgation de données de plus en plus nombreuses et précises au-delà de la sphère traditionnelle des informations financières, pour occuper le champ de la RSE. Tel est notamment l'objet de la directive dite NFRD, en passe d'être révisée pour assurer la publication à une plus grande échelle d'informations en matière de durabilité des entreprises.
La seconde forme de réglementation consiste à déplacer quelque peu le curseur normatif, et à requérir des entreprises une démarche plus proactive et préventive, au risque d'engager leur responsabilité par différents biais concevables. Elle s'inscrit alors pleinement dans le concept contemporain en vogue de compliance, qui trouve donc avec la RSE un nouveau terrain d'expression.
C'est bien à cette dernière logique que répond la Proposition de directive du 23 février 2022 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité.
Rappelons au préalable que cette initiative européenne s'inscrit dans le sillage de certains Etats membres ayant d'ores et déjà adopté une législation en la matière. Nul n'ignore que la France fut le précurseur en ce domaine, par une loi du 27 mars 2017, avant que d'autres Etats ne lui embrayent le pas, en particulier l'Allemagne qui adopta son propre instrument législatif en juillet 2021. Il reste que les divergences d'appréciation observées, auxquelles s'ajoutent les réticences d'autres Etats à légiférer en la matière, rendaient indispensable une harmonisation de la réglementation à l'échelle européenne.
A l'examen, les points saillants de la Proposition de directive portent sur le périmètre des entreprises concernées (1°), la nature des obligations préconisées (2°) et le type de sanctions envisagées (3°).
1. LES ENTREPRISES CONCERNEES
Le périmètre des entreprises concernées s'avère particulièrement large.
Pour rappel, la loi française du 27 mars 2017 est à l'heure actuelle relativement exigeante, puisqu'elle ne s'applique qu'aux sociétés qui emploient plus de 5.000 salariés en France ou plus de 10.000 salariés en France et à l'étranger, en prenant en considération leurs filiales pour le calcul des seuils. Quant à la loi allemande, elle s’applique à toutes les entreprises, quelle que soit leur forme juridique, qui ont leur administration centrale, établissement principal ou leur siège social en Allemagne, à condition qu’elles emploient en Allemagne plus de 3.000 salariés, seuil qui sera abaissé à 1.000 salariés en 2024.
Le texte européen s'annonce sur ce point beaucoup plus ambitieux, en distinguant à titre principal deux catégories de sociétés :
En outre, le dispositif proposé aurait une portée extra-territoriale, dans la mesure où les sociétés établies dans des États tiers, mais qui réalisent, au sein de l'UE, les chiffres d'affaires précités seraient également soumises à la directive.
Au total, selon la Commission, cette proposition concernerait 13.000 entreprises de l’UE et 4.000 sociétés d'Etats tiers.
2. LES OBLIGATIONS PRECONISEES
Le devoir de vigilance tiré du texte s'appliquerait non seulement aux opérations de l’entreprise et de ses filiales, mais aussi celles résultant d'entités intégrant leurs chaînes de valeur, autrement dit celles avec lesquelles elle entretient une relation commerciale établie de manière directe et indirecte.
En substance, il se traduirait essentiellement par le respect des obligations suivantes, dans l'ensemble un peu plus élaborées que le plan de vigilance prescrit aujourd'hui par la loi française :
3. LES SANCTIONS ENVISAGEES
Sur ce point encore, elles apparaissent plus développées que celles tirées de l'actuelle loi française.
D'abord, sur le modèle de la législation allemande, une autorité administrative nationale désignée par chacun des États membres serait chargée de contrôler le respect de ces nouvelles règles, et pourrait infliger des amendes en cas d'infraction, selon un pourcentage du chiffre d’affaires réalisé par la contrevenante.
Ensuite, les victimes auraient la possibilité d'intenter une action en responsabilité civile pour les dommages occasionnés qui auraient pu être évités grâce à des mesures de vigilance appropriées.
Enfin, la mise en œuvre du devoir de vigilance constituerait une pleine composante de l'obligation des dirigeants sociaux d'agir dans l'intérêt social de l'entreprise concernée, de sorte que leur responsabilité personnelle pourrait également être mise en cause à ce titre.