19 novembre 2018
Les députés de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen ont adopté, le 6 novembre 2018, un rapport proposant une série d’amendements à apporter au projet de règlement européen sur « les prestataires de services de financement participatif pour les entreprises » (règlement crowdfunding)
Stéphane Puel, associé gérant du cabinet Gide, et Jennifer D’hoir, experte senior au sein de l’équipe Gide 255 consacrée à la transformation digitale, expliquent les enjeux liés à cette réglementation dans un entretien publié dans la Lettre des Juristes d'Affaires (LJA) du 19 novembre 2018.
Pourquoi la position adoptée par le Parlement européen constitue-t-elle une avancée notable dans le paysage réglementaire relatif à l’innovation et, en particulier, du crowdsale1 ?
L’équipe Gide 255, qui accompagne notamment les acteurs du secteur du crowdsale dans l’élaboration de leur stratégie réglementaire, est naturellement très attentive aux discussions européennes en cours sur le règlement crowdfunding. Ce texte constitue une avancée singulière en ce qu’il est, jusqu’à présent, la seule concrétisation législative découlant du plan d’action Fintech rendu public le 8 mars dernier par la Commission européenne. En France, depuis 2014, le crowdfunding bénéficie d’un cadre très novateur, dont les institutions européennes se sont d’ailleurs largement inspirées pour élaborer ce règlement et pour proposer aux acteurs l’agrément ESCP (European Crowdfunding Services Provider).
Quelles sont les lignes directrices de ce règlement crowdfunding ?
Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une réglementation visant à harmoniser les règles nationales développées par les différents Etats membres. Le texte ne propose pas un régime unique européen qui viendrait se substituer aux régimes nationaux préexistants.
L’approche règlementaire retenue est une approche « exclusive ». Le prestataire devra ainsi faire le choix entre le régime national ou le régime européen (les deux n’étant pas cumulatifs). Ce choix s’effectuera en fonction des priorités et des plans de développement de l’acteur concerné. Il est en effet essentiel de rappeler que le marché du crowdsale répond à des logiques de proximité. Ainsi, les règlementations se sont développées, dans un premier temps, au niveau national plutôt qu’au niveau européen, les cibles d’investisseurs étant majoritairement domestiques et les projets à financer, d’envergure locale.
En proposant un agrément européen permettant aux acteurs agréés d’opérer sur une base transfrontière au sein du Marché unique, le projet de règlement ouvre de nouvelles perspectives de développement aux acteurs. Pour ceux dont les modèles d’affaires sont éprouvés, il leur offre en effet la possibilité de rechercher des financements dans plusieurs pays de l’Union sans avoir à répéter une démarche couteuse d’agrément national. Toutefois, pour obtenir l’agrément européen, un acteur devra automatiquement « abandonner » son agrément national, les deux régimes étant exclusifs l’un de l’autre.
Quel sera le rôle de l’ESMA (European Securities and Market Authority) dans l’attribution de cet agrément ?
Dans la proposition originale de la Commission européenne, pour assurer une convergence des pratiques de délivrance du label européen, il était d’abord prévu de confier à l’ESMA le soin d’octroyer l’agrément ESCP. Toutefois, et pour répondre à une logique de bonne articulation entre les régimes nationaux et le régime européen, dans le rapport du Parlement européen, il est proposé que cet agrément soit délivré par les régulateurs nationaux. Selon la proposition du Parlement, l’ESMA assurera un simple rôle de coordinateur et sera notamment en charge de tenir un registre des fournisseurs européens agréés. Certains points méritent encore d’être traités dans le détail. Se pose notamment la question du glissement du régime national vers le régime européen pour un acteur qui en ferait la demande et de la nécessité de permettre une « transition douce » entre les deux régimes.
Le seuil maximal de l’offre de financement participatif a été relevé, pour quelle raison ?
Le projet de règlement original prévoyait un seuil d’un million d’euros sur 12 mois, ce qui était clairement sous-dimensionné, alors que l’AMF préconisait un seuil à 8 millions. C’est finalement le chiffre qui a été retenu, qui permet d’assurer une mise en cohérence avec le seuil plafond prévu par le règlement européen Prospectus, au-delà duquel l’obligation d’émettre un Prospectus s’impose.
Pour quelle raison ce règlement est intéressant pour tout l’écosystème du crowdsale, au-delà des acteurs crowdfunding ?
Le marché du crowdfunding n’est pas aujourd’hui encore exponentiel et reste limité en France et plus largement, en Europe. En revanche, d’autres formes de « financement par la foule » se développent. C’est précisément cette tendance qu’illustre le développement des levées de fonds effectuées via l’émission de jetons utilitaires (Initial Coin Offerings ou ICO) ou via l’émission de jetons, dont les caractéristiques sont proches de celles de titres financiers classiques (Security Token Offerings ou STO). Le recours croissant à ces nouvelles pratiques de financement, basées sur la technologie blockchain, ont également attiré l’attention du législateur européen. En effet, certains parlementaires ont évoqué la possibilité de soumettre les ICO aux dispositions prévues par le projet de règlement portant sur le crowdfunding. Cette tentative n’a cependant pas abouti. Cet atterrissage nous semble, à ce stade, prudent et bienvenu dans un contexte de marché encore mouvant. Le rapport du Parlement européen appelle toutefois la Commission européenne à traiter la question de la régulation des ICO via le lancement d’un chantier législatif distinct. Cette dynamique de captation réglementaire des ICO est déjà enclenchée au niveau national et, en particulier, en France comme en témoignent les débats actuels sur le projet de loi PACTE qui prévoit un régime optionnel pour les émissions de jetons utilitaires.
Ce marché des ICO est en plein mouvement ?
Absolument. Mais il faut d’ailleurs distinguer entre les différentes sortes de crypto-actifs. Il existe d’une part, les jetons ou « tokens » utilitaires, qui ne sont pas, dans la majorité des cas considérés comme des instruments financiers au sens de la réglementation, et qui sont aujourd’hui clairement en perte de vitesse. D’autre part, nous assistons au développement des « security tokens », qui présentent des caractéristiques semblables aux instruments financiers classiques qui les rendent susceptibles d’être captés par les réglementations existantes. Il n’existe pas aujourd’hui, en Europe, d’approche réglementaire unique et harmonisée pour ce nouveau marché.
Or, les acteurs du marché sont en demande de règles et de certifications afin de pérenniser leurs modèles d’affaires et d’assurer leur développement. La loi PACTE, qui met en place une labellisation optionnelle par l’AMF pour les ICO utilitaires et un dispositif d’agrément optionnel pour les intermédiaires du marché crypto, poursuit cet objectif. Ce véhicule législatif constitue une solution réglementaire innovante sur laquelle il convient de capitaliser, notamment dans le cadre de l’élaboration de la règle européenne. De la même manière que pour la réglementation du crowdfunding, où la France avait su se positionner comme une juridiction de référence en Europe, il s’agit de dupliquer cette approche avec la loi PACTE et l’encadrement du marché crypto.
Ce contexte de marché et réglementaire inédit nécessite le développement de nouvelles expertises, en particulier en matière de conseil stratégique et juridique. C’est la raison pour laquelle Gide a souhaité mettre en place une nouvelle équipe, Gide 255, entièrement dédiée à l’accompagnement de nos clients dans l’appréhension de ce nouvel écosystème.
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1. Littéralement le « financement par la foule ». Ce terme générique recouvre différentes pratiques de marché pour collecter des fonds afin de financer des projets, telles que, par exemple, le crowdfunding ou encore les levées de fonds effectuées via l’émission de jetons utilitaires (Initial Coin Offering ou ICO).