29 juillet 2021
La Commission européenne a arrêté le 4 juin puis le 6 juillet derniers le texte de deux actes délégués venant préciser les dispositions du Règlement (UE) 2020/852 du 18 juin 2020 sur la taxinomie (le "Règlement Taxinomie").
Le dispositif permettant la mise en œuvre des dispositions de ce règlement est donc aujourd'hui clarifié.
A compter du 1er janvier 2022, les entreprises françaises soumises à l'obligation de publication d'informations extra-financières en application des articles 19 bis et 29 bis de la directive n°2013/34/UE, modifiée par la directive n°2014/95/UE (dite "NFRD") (c’est-à-dire principalement les établissements de crédit, les entreprises d'assurance et les sociétés cotées dépassant, seuls ou avec leurs filiales consolidées, 500 salariés et un total de bilan de 20 millions d'euros ou un chiffre d'affaires de 40 millions d'euros) devront inclure dans leur déclaration de performance extra-financière ("DPEF") les informations prévues par le Règlement Taxinomie relatives aux activités considérées comme des "activités économiques durables", au sens de ce Règlement.
Le Règlement Taxinomie s'inscrit dans le Plan Finance Durable du Pacte Vert annoncé par la Commission européenne. Il instaure des règles de classification et d'information en vue de fournir à tous les acteurs financiers et non financiers une compréhension commune de ce qui doit être considéré comme une activité économique durable afin, d'une part, d'encourager les entreprises à développer des activités durables et respectueuses des enjeux environnementaux et d'autre part, d'inciter les investisseurs à financer de tels projets poursuivis par les entreprises dans une vision de long terme, tout en évitant les risques de "greenwashing".
Il repose ainsi sur deux types de règles : des règles de classification des activités économiques (1) et des règles en matière d'information imposées aux acteurs financiers et aux entreprises non financières en relation avec ces activités (2). Ses dispositions entrent en vigueur de manière progressive, à compter du 1er janvier 2022 (3).
En ce qui concerne les règles de classification, les deux notions essentielles sont celles d'activités économiques durables, également dénommées activités économiques alignées sur la taxinomie, et les activités éligibles à la taxinomie. Ce sont en effet les deux notions qui déterminent l'information que devront fournir les entreprises concernées.
1.1 Les activités économiques durables, ou activités alignées
Les activités économiques durables, ou activités alignées, sont définies à l'article 3 du Règlement Taxinomie.
Elles doivent tout d'abord apporter une contribution substantielle à l'un ou plusieurs des six objectifs environnementaux suivants :
Pour chacun de ces six objectifs environnementaux, le Règlement Taxinomie précise, dans ses articles 10 à 15, les principes généraux permettant de déterminer celle de ces activités qui apportent une contribution substantielle audit objectif.
En outre, pour être qualifiées de durables, de telles activités doivent remplir des conditions additionnelles et cumulatives, à savoir: ne pas causer de préjudice important à l'un des cinq autres objectifs environnementaux, et respecter des garanties minimales en matière de droits humains et de droit du travail visées à l'article 18 du Règlement Taxinomie (en particulier au regard des principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales et des principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme).
Enfin, afin de permettre d'évaluer précisément la contribution des activités aux six objectifs environnementaux, la Commission Européenne doit établir, sur la base des travaux d'un groupe d'experts et par voie d'actes délégués, des mesures de performance, appelées critères d'examen technique, qui complètent les principes généraux définis par le Règlement Taxinomie, et dont le respect est requis pour qu'une activité soit qualifiée de durable.
Ces actes délégués établissent ainsi, pour chaque objectif environnemental, (i) une liste limitative d'activités économiques susceptibles d'avoir une contribution substantielle à cet objectif, ainsi que (ii) les critères d'examen technique à respecter par une entreprise pour qu'elle ait effectivement une contribution substantielle à cet objectif, et (iii) les critères d'examen technique à respecter par une entreprise pour s'assurer que l'activité concernée ne cause pas de préjudice important à l'un des cinq autres objectifs environnementaux. Les activités retenues suivent les appellations du code NACE.
La Commission Européenne a adopté le 4 juin 2021 la version finalisée du projet d'acte délégué, l'"Acte Délégué Climat", relatif aux deux premiers objectifs de la Taxinomie que sont l'atténuation du changement climatique et l'adaptation au changement climatique. Les quatre autres objectifs environnementaux feront l'objet ultérieurement d'actes délégués complémentaires.
Notons que si la liste des activités potentiellement durables est établie de manière limitative dans les actes délégués, il appartient à chaque entreprise d'apprécier, pour chaque activité qu'elle exerce et qui est listée dans l'un des actes délégués, si elle respecte les critères d'examen technique correspondants et si elle respecte les garanties minimales.
Précisons enfin que sont assimilées aux activités économiques durables stricto sensu, et donc traitées comme telles, les activités dites transitoires et les activités dites habilitantes. Les activités transitoires visées à l'article 10.2 du Règlement taxinomie sont celles pour lesquelles il n'existe pas de solution de remplacement sobre en carbone réalisable mais qui favorisent une évolution vers une économie neutre pour le climat. Les activités habilitantes sont définies à l'article 16 du Règlement Taxinomie comme celles qui, sous certaines conditions, permettent à d'autres activités de contribuer de manière substantielle à la réalisation d'un ou plusieurs objectifs environnementaux. Il convient de relever que ces activités sont définies de manière plus souples que les activités économiques durables stricto sensu, et contribuent à permettre l'adaptation progressive du secteur financier, tout en tenant compte des progrès technologiques et de la durée de vie économique des actifs concernés.
1.2 Les activités éligibles
Les activités éligibles au titre d'un des objectifs environnementaux sont les activités limitativement listées dans les annexes à l'acte délégué relatif audit objectif environnemental, c’est-à-dire celles susceptibles d'apporter une contribution substantielle audit objectif, indépendamment du fait qu'elles soient conformes aux critères d'examen technique et qu'elles respectent les garanties minimales.
En ce qui concerne les obligations en matière d'information qui pèsent sur les entreprises, elles figurent à l'article 8 du Règlement Taxinomie (2.1) et sont précisées dans un acte délégué, l' "Acte Délégué relatif à l'article 8", dont la Commission européenne a publié le texte finalisé le 6 juillet dernier (2.2).
2.1 L'article 8 du Règlement Taxinomie
En application de l'article 8 du Règlement Taxinomie, les entreprises françaises soumises à l'obligation de publication d'informations extra-financières en application des articles 19 bis et 29 bis de la directive n°2013/34/UE, modifiée par la directive NFRD (c’est-à-dire principalement les établissements de crédit, les entreprises d'assurance et les sociétés cotées dépassant, seuls ou avec leurs filiales consolidées, 500 salariés et un total de bilan de 20 millions d'euros ou un chiffre d'affaires de 40 millions d'euros) devront inclure dans leur DPEF des informations sur la manière et la mesure dans laquelle leurs activités relèvent d'activités économiques durables. Il prévoit en particulier qu'elles publient les indicateurs clés de performance ("ICP") suivants :
"a) la part de leur chiffre d'affaires ("CA") provenant de produits ou services associés à des activités économiques pouvant être considérées comme durables sur le plan environnemental (…) ;
b) la part de leurs dépenses d'investissement ("Capex") et la part de leurs dépenses d'exploitation ("Opex") liées à des actifs ou des processus associés à des activités économiques pouvant être considérés comme durables sur le plan environnemental."
2.2 L'Acte Délégué relatif à l'article 8
L'Acte Délégué relatif à l'article 8 vient définir les indicateurs quantitatifs et les informations qualitatives pertinents aux fins des obligations d’information de l'article 8 du Règlement Taxinomie.
Son Annexe I détermine de quelle manière les entreprises non-financières doivent indiquer la mesure dans laquelle leurs activités sont associées à des activités économiques durables sur le plan environnemental. Elle énonce notamment de manière détaillée les éléments devant être pris en compte au numérateur et au dénominateur de chacun des ICP, ainsi que les explications qui doivent être fournies sur la manière dont ces ICP ont été calculés.
A cet égard, les entreprises non-financières doivent fournir les informations relatives aux ICP en ce qui concerne les activités économiques durables, ou activités alignées, mais également sur la part des activités éligibles mais non alignées sur la taxinomie réalisées par l'entreprise concernée, et sur les activités qui ne sont pas des activités éligibles. L'entreprise doit distinguer au sein des activités alignées, les sous-ensemble d’activités transitoires et d’activités habilitantes.
Les ICP doivent être indiqués pour chaque objectif environnemental. Ils doivent être fournis non seulement pour l'exercice écoulé, mais également pour le précédent.
En Annexe II de cet acte délégué figure un modèle de tableau à suivre pour présenter les informations sur les ICP des entreprises non-financières.
L'Acte Délégué Climat et l'Acte Délégué relatif à l'article 8 tels qu'adoptés par la Commission Européenne respectivement les 4 juin et 6 juillet dernier ont vocation à être publiés au Journal Officiel de l'Union européenne d'ici au 31 décembre 2021 de sorte que les obligations au titre du Règlement Taxinomie puissent commencer à s'appliquer à compter de cette date, en relation avec l'exercice 2021, en ce qui concerne les deux objectifs climat. Des actes délégués seront adoptés par la Commission européenne en ce qui concerne les quatre autres objectifs en principe avant le 31 décembre 2021, pour une entrée en application à compter du 1er janvier 2023.
L'Acte Délégué relatif à l'article 8 prévoit toutefois un régime transitoire pour la première année d'application, du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2022, pour tenir compte du fait que les entreprises n'auront pas le temps de collecter toutes les données nécessaires, de procéder à l'évaluation de la conformité de leurs activités économiques avec les critères d’examen technique, et donc de se préparer de manière satisfaisante à leurs obligations. Son article 10 dispose que la publication pour l'exercice 2022 portant sur les données 2021 fait l'objet de mesures de simplification :
- les informations non-financières fournies par les entreprises ne porteront que sur les activités éligibles et non-éligibles, mais non sur les activités alignées, de sorte que les entreprises n'auront pas, pour ce premier exercice, à identifier si elles respectent ou non les critères d'examen technique et les garanties minimales ;
- le reporting "simplifié" portera sur les trois ICP susvisés à savoir, le chiffre d'affaires, les CAPEX et les OPEX, mais les entreprises n'auront pas, pour calculer ces ICP, à respecter les règles de calcul très détaillées mentionnées à l'Annexe I de l'Acte Délégué relatif à l'article 8 du Règlement Taxinomie.
En revanche, à compter de l'exercice 2023 portant sur les données 2022, les entreprises devront se conformer intégralement aux règles de cet acte délégué.
S'agissant des quatre autres objectifs environnementaux visés par le règlement Taxinomie, l'entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2023.
Rappelons enfin que lorsque la directive dite "CSRD" (pour Corporate Sustainability Reporting Directive) sur la publication d’informations en matière de durabilité des entreprises, dont le projet a été diffusé par la Commission Européenne le 21 avril 2021, et qui devrait être adoptée par les co-législateurs européens dans le courant de l'année 2022, viendra à remplacer la directive NFRD, ces obligations devraient être étendues à toutes les grandes entreprises (c’est-à-dire celles qui dépassent les limites chiffrées d'au moins deux des trois critères suivants: a) total du bilan de 20 millions d'euros; b) chiffre d'affaires net de 40 millions d'euros ; c) un nombre moyen de salariés au cours de l'exercice de 250), cotées ou non, ainsi qu'à certaines PME cotées.
Ce sont donc de très nombreuses entreprises qui doivent se préparer pour être en mesure de faire face à ces obligations.