24 avril 2020
A la suite de la propagation au Maroc du Covid-19, le législateur et le gouvernement marocain ont adopté le décret-loi n° 2.20.292 et le décret n° 2.20.293 relatifs à l'état d'urgence sanitaire prévoyant, notamment, des mesures de confinement et des restrictions relatives à la circulation des personnes.
En cette période de tenue des réunions des organes sociaux des sociétés relatives à l'arrêté et l'approbation des comptes annuels, l'impossibilité de tenir physiquement des réunions a donc suscité quelques difficultés pratiques.
Fort de ce constat, le gouvernement, sur proposition du Comité De Veille Economique[1], a élaboré le 16 avril 2020 un projet de loi visant à adapter certaines dispositions de la loi 17-95 relative aux sociétés anonymes (la "Loi 17-95") au contexte de l'état d'urgence (le "Projet[2]") et à assouplir les règles relatives à la tenue des réunions des organes sociaux des sociétés anonymes. Le Projet est actuellement étudié par la Commission des finances et du développement économique[3] et n'est dès lors pas encore en vigueur.
Le Projet prévoit les dispositions complémentaires ou dérogatoires suivantes à la Loi 17-95 :
Le Projet consacre la possibilité, pendant toute la durée de l'état d'urgence, de délibérer par moyen de visioconférence dans le cadre des réunions suivantes:
Le recours à la visioconférence pour la tenue des débats du Conseil d'Administration et/ou des Assemblées Générales est déjà consacré par la Loi 17-95. Néanmoins, cette modalité ne peut être mise en œuvre que si les statuts de la société concernée le prévoient expressément et est exclu pour certaines décisions (e.g. arrêté des comptes par le Conseil d'Administration, convocation de l'Assemblée Générale).
Aux termes du Projet, il apparait donc, indépendamment de toute stipulation statutaire, que les administrateurs et les actionnaires pourraient prendre part aux délibérations par moyen de visioconférence et que leur participation serait prise en compte dans la détermination du quorum et de la majorité.
Il convient tout de même de rappeler que les moyens de visioconférence mis en place doivent répondre à certaines exigences techniques imposées par la loi[4].
Le Projet prévoit en outre que les actionnaires pourraient voter par correspondance en Assemblée Générale. Cette faculté, déjà consacrée par la Loi 17-95 sous réserve d'être statutairement prévue, serait donc ouverte y compris en l'absence de stipulations statutaires.
Le vote par correspondance devra être fait au moyen du formulaire de vote conforme aux exigences légales[5] et l'avis de convocation à l’Assemblée Générale devra comporter les mesures pratiques relatives à l’identification des participants, à la consultation des documents qui seront présentés à l’Assemblée Générale et à la marche de ses travaux.
En cas d'impossibilité de recours à des moyens de visioconférence conformes aux exigences légales, le Directeur Général, le Président Directeur Général ou le Président du Conseil d'Administration peut établir des états de synthèse relatifs aux comptes annuels au titre de l’exercice clos au 31 décembre 2019.
Ces états de synthèse dits provisoires :
En application du Projet, le Directoire pourrait utiliser les états de synthèse relatifs aux comptes annuels de l’exercice clos au 31 Décembre 2019, pour s’en prévaloir dans les relations avec les tiers.
Il devra alors soumettre (i) les comptes annuels de l’exercice clos au 31 Décembre 2019 ainsi que (ii) les documents d'information aux actionnaires prévus par l'article 141 de la Loi 17-95 au Conseil de Surveillance dans un délai maximum de quinze jours francs à compter de la date de levée de l’état d’urgence sanitaire.
Le Conseil d'Administration (ou le Directoire, selon le cas) pourrait, en application du Projet, autoriser lui-même l'émission d'obligations pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, à charge de convoquer l'Assemblée Générale dans un délai maximum de quinze jours francs après la levée de l’état d’urgence sanitaire afin de présenter un rapport sur ces émissions et d'en exposer les caractéristiques.
Ne traitant pas le cas des sociétés à responsabilité limitée et n'abordant qu'une partie des situations pouvant se présenter dans la tenue dématérialisée des réunions des organes sociaux des sociétés anonymes, le Projet présente certaines carences qui devront être comblées au regard des dispositions du droit commun des sociétés.
Dans les sociétés anonymes dites dualistes (à Directoire et Conseil de Surveillance), la charge de convoquer l'Assemblée Générale et d'établir les états de synthèse dans les trois mois de la clôture de l'exercice social incombe au Directoire (dont les règles de réunions et de délibérations sont fixées par les statuts).
Or le Projet dans sa mouture actuelle - s'il assouplit les règles relatives aux réunions et délibérations du Conseil d'Administration et l'Assemblée Générale - ne vise pas celles du Directoire.
Dès lors, si les statuts ne prévoient pas la faculté pour cet organe de se réunir et de délibérer par visioconférence, ou tout autre moyen ne requérant pas la présence physique de ses membres, les décisions qui incombent au Directoire ne pourront être prises avant qu'il ne soit en mesure de se réunir physiquement. Il en ira de même pour le Conseil de Surveillance dont les règles de convocation, réunion et délibération sont sensiblement similaires à celles applicables aux Conseils d'Administration.
Néanmoins, concernant spécifiquement l'approbation des comptes annuels de ces sociétés, il convient de souligner que l'article 6 du décret-loi n° 2.20.292 prévoit une suspension générale de la computation de tous les délais légaux jusqu'à la fin de l'état d'urgence.
Il apparait donc que l'établissement des états de synthèse par le Directoire, supposé intervenir dans les trois mois de la clôture de l'exercice pourra être réalisée en toute conformité jusqu'à l'issue d'une période de trois mois à compter de la clôture de l'exercice social, augmentée de la durée de l'état d'urgence.
Comme son titre l'indique, le Projet ne traite que des sociétés anonymes. En conséquence, aucune disposition dérogatoire n'est envisagée pour la tenue dématérialisée des organes sociaux des autres types de sociétés, dont notamment les SARLs.
Dans ces sociétés, le seul organe collégial obligatoire est l'assemblée générale dont les délibérations ne seront nécessaires, dans le silence des statuts, qu'à l'adoption des décisions suivantes :
Si la participation aux Assemblées Générales par moyen de visioconférence n'est pas prévue par la loi, les associés peuvent, sous réserve que cela soit expressément prévu par stipulations statutaires, donner mandat à un autre associé.
En outre, contrairement aux actionnaires d'une société anonyme, les associés d'une SARL peuvent délibérer et adopter des décisions par voie de consultations écrite.
Cette faculté, qui doit expressément être prévue par les statuts, est néanmoins exclue pour l'approbation des comptes annuels de la société qui, partant, nécessitera la tenue d'une assemblée générale. Celle-ci devra ainsi être reportée à l'issue de l'état d'urgence sanitaire et des mesures de confinement.
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[1] Le Comité de Veille Economique ("CVE"), organe ad hoc constitué pour proposer des mesures à mettre en place afin de faire face aux conséquences de la propagation du Coronavirus, a annoncé, à l'issue de sa quatrième réunion tenue le 14 mars 2020, qu'un projet de loi introduisant de mesures d’assouplissement pour la tenue des assemblées générales des sociétés anonymes était en cours de mise au point.
[2] Projet de loi n° 27-20 relatif au déroulement des travaux des organes de direction des sociétés anonymes et des modalités de tenue des assemblées générales pendant la période de l’état d’urgence sanitaire.
[3] L'évolution du projet de loi peut être suivie sur le site de la Chambre des Représentants.
[4] Au titre de l'article 50bis de la Loi 17-95, les moyens de visioconférence devront répondre aux critères suivants :
[5] Telles qu'édictées par l'article 3 du décret n° 2-09-481 du 21 décembre 2009 - 4 moharrem 1431 pris pour l'application de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes.
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