26 mars 2020
Demain, après la levée des périodes de quarantaine, les institutions financières publiques tenteront toutes les stratégies qu'elles pourront mettre en œuvre pour sauver l'entreprise. Des injections de liquidité et des facilités de crédit ont déjà été annoncées pour limiter les faillites ainsi que les effets sur la sphère financière. Mais comment les consommateurs et acheteurs, privés et professionnels sortiront-ils de cette période non anticipée ? Au-delà des politiques publiques qui s'essayeront à stimuler la relance, quels dispositifs et quels instruments pourrait inciter les citoyens et les entreprises à "viser utile" dans leur consommation ? En d'autres termes, comment le politique pourrait-il faire en sorte qu'une partie des commandes et des achats, soit bien orientée et ainsi, utile au rebond économique tant espéré ?
Parmi les pistes possibles se dressant autour des enjeux numériques qui devraient s'intensifier, l'émission d'un crypto-euro conçu et désigné pour servir certains secteurs de l'économie jugés essentiels ou stratégiques, pourrait être explorée. Plus largement, l'adoption d'instruments d'échanges différenciés à des fins économiques et sociétales pourrait participer au rebond de l'économie et de la société « d'après ».
L'impact de l'épidémie du nouveau coronavirus sur l'économie mondiale pourrait être majeur et même s'il est encore trop tôt pour prédire les effets que cet arrêt brutal, temporaire et non anticipé d'une partie de l'économie, aura sur de nombreux secteurs, la plupart des grandes institutions publiques financières françaises et européennes ont d'ores et déjà annoncé différents plan de soutien, de sauvetage, et de relance qu'elles ont commencé à mettre en œuvre afin d'éviter le pire.
Dans les actions qu'elles ont initié ou promis de mener pour soutenir les entreprises, celles-ci visent en priorité à contenir la crise qui s'est déjà amorcée dans sa dimension industrielle, et dans une temporalité limitée, afin qu'elle ne se transforme pas trop vite, et trop brutalement, en une crise financière généralisée.
Les politiques annoncées visent donc en premier lieu à apporter aux entreprises les outils de trésorerie et de financement de leur appareil productif, qui leur permettent de "tenir le coup" après le choc, et les aident dès à présent à anticiper la reprise et les éventuelles réorganisations de leurs activités respectives.
Tout sera donc probablement tenté pour que les entreprises qui auront été suffisamment résilientes puissent rebondir, au moins financièrement.
Du côté de l'offre, la pause temporaire généralisée de l'outil productif mondial pourrait être suivie d'une accélération de la production globale visant à rattraper le retard pris sur la dernière période. Les stocks devraient donc se remplir à nouveau.
En revanche, du côté de la demande, et dans un contexte aussi inédit, et sortis d'un confinement auquel ils n'étaient pas préparés, comment se comporteront les consommateurs privés et les acheteurs professionnels ?
Qu'ils nourrissent des marchés BtoB ou BtoC, quels comportements auront les acheteurs, privés ou professionnels, une fois sortis (peut-être même partiellement) de cette crise sanitaire majeure ?
« Le jour d’après […], ce ne sera pas un retour au jour d’avant » . Même si l'économie est finalement habituée à suivre des cycles, comment la consommation pourrait-elle alors, suite à un choc sur la société d'une telle intensité, de nature aussi inédite, et peut-être répétitif à l'avenir, reprendre à l'identique dans la phase « d'après » ?
Des comportements amplifiés de prudence, une croissance exceptionnelle des niveaux de thésaurisation, et une forme d'attentisme vis-à-vis des décisions qui seront prises par les entreprises en matière d'emplois et par les autorités sanitaires également, pourraient créer un ralentissement à certains usages et habitudes de consommation et d'achats.
Cet « après », caractérisé par des questions qui, au départ, resteront en suspens, et constituera sans doute un choc post-traumatique sociétal, pourrait limiter sur une période de réadaptation, certains achats et commandes pourtant nécessaires au rebond souhaité.
La relance pourrait donc ne pas être totalement optimale, sans certains mécanismes d'incitation et autres instruments permettant des orientations de la consommation et facilitant le suivi des flux économiques qui reprendront leur droit.
Elle pourrait néanmoins être accompagnée, et augmentée, d'innovations nées du numérique qui, sans nul doute, aura fini de démontrer récemment sa nécessité immédiate, ainsi que son caractère d'urgence en termes de développement, à travers son rôle notamment dans l'organisation de la continuité du travail "à distance".
Si l'offre est soutenue par les politiques publiques et l'injection massive de liquidité, la demande pourrait donc s'exprimer différemment et réduire l'efficacité des plans de relance envisagés.
De cette crainte d'une sous-consommation durable et de l'imprédictibilité relative aux carnets de commande, renaît depuis peu l'école partisane de la "monnaie hélicoptère", héritée de l’économiste Milton Friedman. Ce concept est fondé sur le rapport de cause à effet entre l'injection par la banque centrale de liquidités prenant la forme de monnaie distribuée (gratuitement) aux particuliers, et la relance de la consommation.
Même si jugé pertinent d'un point de vue macroéconomique par certains, ce concept a souvent été considéré théorique et trop difficile à mettre en œuvre, compte tenu notamment des mécanismes existant entre banques centrales et établissements financiers, et de l'accès direct que les banques centrales devraient avoir avec les citoyens pour distribuer cette monnaie.
Il semble néanmoins que le concept de monnaie hélicoptère refasse surface dans le contexte actuel, et puisse être même réinventé dans le cadre des différents scénarios de politique monétaire susceptibles de produire un impact positif sur l'économie.
Pouvant prendre plusieurs formes, cette "monnaie" utilisée comme instrument de relance, semblerait en effet planer au-dessus des discussions en cours au niveau européen.
L’annonce par la BCE du nouveau programme d'achat d'obligations de 750 milliards d'euros, faite dans la nuit du 18 au 19 mars dernier, visant à protéger l'économie de la zone euro contre les répercussions de la crise susceptible de croître du fait de la pandémie du nouveau coronavirus, constitue un signal d'amorçage des futurs développements qui pourraient suivre en matière de politique monétaire, s'apparentant dans une certaine mesure à une nouvelle ère des actions entreprises par la BCE.
Compte tenu des efforts d'intervention de la BCE dans le contexte actuel, et de l'innovation qu'elle s'autorise manifestement à penser en matière de politique monétaire, la monnaie hélicoptère pourrait ainsi faire partie des options possibles en matière de relance, parmi les autres pistes évoquées comme celle, par exemple, des "coronabonds" qui vise à mutualiser la dette européenne via l'émission d'obligations pan-européenne au sein de la zone euro.
La forme juridique et le mécanisme d'une néo-monnaie hélicoptère pourrait alors varier et s'éloigner du concept initial imaginé par Friedman, mais poursuivre l'objectif fondateur de l'économiste, à savoir le raccourcissement du transfert entre la monnaie "banque centrale" et les entreprises, et/ou entre la monnaie "banque centrale" et les citoyens.
Il resterait à définir les modalités de mise en œuvre d'une telle monnaie de relance ainsi que ses contours juridiques ; plusieurs mécanismes pouvant être inventés, comme le précisait notamment le Parlement européen dans une note décryptant le concept de monnaie hélicoptère en avril 2016.
Les volontés des pouvoirs publics ont ainsi commencé à s'exprimer et se poursuivent afin d'anticiper au mieux ce qui sera nécessaire, à minima, pour donner les meilleures conditions d'un rebond à l'économie européenne au cours des prochaines années.
Les outils participant à la mise en œuvre de ces politiques monétaires de relance, susceptibles d'accroître leur efficacité en améliorant leur finalité au sein de l'économie réelle, peuvent cependant encore être complétés et précisés.
La question de la demande reste en effet centrale et sans réponse évidente. Comment assurer que les liquidités injectées dans l'économie européenne serviront aux bonnes fins de sa relance ?
En cela, le numérique - et plus particulièrement l'univers des actifs numériques soutenu par le législateur français notamment dans la récente Loi Pacte qui précise les contours juridiques des actifs numériques et de leurs prestataires - pourrait apporter sa pierre à l'édifice de programmes institutionnels de relance économique.
En effet, compte tenu de leurs caractéristiques techniques d'une part, permettant notamment leur traçabilité, et du cadre juridique certain dans lequel ils peuvent s'inscrire d'autre part (pour lesquels de nombreux travaux et développements législatifs ont déjà été menés), certaines catégories d'actifs numériques pourraient participer à une mise en œuvre efficace de politiques économiques de relance.
Par exemple, s'inspirant du fonctionnement de la monnaie dirigée , la distribution par une banque centrale de monnaie hélicoptère "orientée" vers des secteurs précis de l'économie, techniquement conçue pour ne pas être utilisée autrement, pourrait être examinée.
Le dispositif reviendrait à prévoir l'émission d'actifs numériques à valeur stable dits "stable coins" par une banque centrale (représentant une valeur monétaire légale) techniquement conçus pour être utilisés à des fins précises (par exemple, pour l'acquisition de certains biens de consommation durables désignés). Cela permettrait que cette forme de stable coins soit réinjectée directement dans l'économie réelle, en répondant ainsi à l'objectif recherché par l'émission de cette nouvelle forme de "monnaie hélicoptère".
En d'autre termes, dans l'exemple cité supra, la BCE permettrait via l'émission de "crypto-euros" - hélicoptère, techniquement conçus pour être utilisés à des fins économiques précises, de relancer la consommation dans certains secteurs économiques ayant été jugés essentiels et stratégiques au sein de chacune juridiction ou du marché unique.
Les conditions d'attribution de ces "crypto-euros orientés", utilisés comme moyens de paiements de relance, devront être définies, ainsi que les secteurs qui auraient été désignés comme prioritaires.
De même, les dispositifs d'utilisation et réseaux d'acceptation de ces crypto-euros devront également être analysés au regard des infrastructures de paiement actuels.
En tout état de cause, il semblerait que les caractéristiques et l'utilité d'une "monnaie digitale de banque centrale", qui faisaient déjà l'objet de discussions et de travaux précis au sein des banques centrales nationales et de la BCE avant la pandémie du nouveau coronavirus, soient utiles à examiner dans le cadre actuel qui vise à optimiser les chances d'un rebond de l'économie européenne.
La qualification juridique de tels instruments devra être précisément définie ; ainsi que le cadre juridique dans lequel devront s'inscrire leurs échanges au sein de certain types de réseaux.
Les prestataires qui pourraient rapidement permettre leur déploiement et leur usage devront être soumis à un corps de règles. Parmi eux, certains prestataires sur actifs numériques existant pourraient d'ores et déjà participer aux réflexions relatives à la mise en œuvre de telles solutions, utiles à la fois à l'émergence de l'écosystème numérique et au rebond post-coronavirus de l'économie européenne.
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