2 avril 2019
France | Propriété Intellectuelle
PROCÉDURE - SAISIE-CONTREFAÇON - BREVET - ABSENCE DE DEVOIR D'IMPARTIALITÉ DES CONSEILS EN PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE - DISTINCTION DE L'EXPERTISE JUDICIAIRE
Cass. Com. 27 mars 2019, pourvoi n° H 18-15.005
La Cour de cassation met fin à une incertitude jurisprudentielle : l'intervention du conseil en propriété industrielle habituel du demandeur dans le cadre d'une expertise privée avant l'introduction du litige ne fait pas obstacle à sa désignation ultérieure en qualité d'expert pour assister l'huissier instrumentaire dans le cadre d'une saisie-contrefaçon.
La société de droit anglais J.C. Bramford Excavators Limited ("JCB") est spécialisée dans la conception et la fabrication d'engins pour travaux publics ou agricoles.
Estimant que la société Manitou ("Manitou"), qui exerce une activité analogue, avait contrefait deux de ses brevets européens, JCB avait d'abord mandaté deux conseils en propriété industrielle pour procéder à des tests sur un véhicule Manitou, en présence de deux salariés de JCB. Ces tests avaient donné lieu à un rapport des deux experts.
JCB a ensuite assigné Manitou en contrefaçon de brevet, puis obtenu une ordonnance l'autorisant à faire pratiquer des opérations de saisie-contrefaçon dans les locaux de Manitou, l'ordonnance ayant spécifiquement autorisé l'huissier instrumentaire à se faire assister par les mêmes conseils en propriété industrielle, nommément désignés dans l'ordonnance.
Par un arrêt remarqué du 27 mars 2018, la Cour d'appel de Paris avait rétracté cette ordonnance, et par voie de conséquence annulé le procès-verbal de saisie-contrefaçon, jugeant "que le droit à un procès équitable posé par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme exige que l'expert qui assiste l'huissier soit indépendant des parties; (…) ; "qu'à l'évidence, et indépendamment de leur statut qui leur impose des obligations déontologiques, des conseils en propriété industrielle ne peuvent, sans qu'il soit nécessairement porté atteinte au principe d'impartialité exigé par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, être désignés comme experts par l'autorité judiciaire alors qu'ils étaient antérieurement intervenus comme experts pour le compte de l'une des parties dans la même affaire (…)".
Cet arrêt avait suscité un certain émoi des praticiens, puisqu'il empêchait de fait le conseil en propriété industrielle habituel du saisissant de pouvoir valablement assister l'huissier lors de saisies-contrefaçons. La CNCPI et l'ACPI (groupements professionnels de conseils en propriété industrielle) étaient ainsi intervenues au soutien du pourvoi formé par JCB. Avec succès.
La Cour de cassation, par un arrêt du 27 mars 2019, a cassé cet arrêt en considérant que "le fait que le conseil en propriété industrielle de la partie saisissante ait, à l’initiative de celle-ci, établi un rapport décrivant les caractéristiques du produit incriminé ne fait pas obstacle à sa désignation ultérieure, sur la demande du saisissant, en qualité d’expert pour assister l’huissier dans le cadre d’une saisie-contrefaçon de brevet, sa mission n’étant pas soumise au devoir d’impartialité et ne constituant pas une expertise au sens des articles 232 et suivants du code de procédure civile".
Selon la Haute juridiction, la mission du conseil en propriété industrielle qui assiste l'huissier dans le cadre d'une saisie-contrefaçon se distingue ainsi de l'expertise judiciaire au sens des articles précités, dans laquelle le juge requiert un technicien pour lui apporter un éclairage technique impartial. Rappelons que l'huissier, officier ministériel, demeure bien évidemment tenu à une stricte obligation d'impartialité dans le cadre des constatations qu'il consigne au cours de la saisie.
Par Julie Pailhès, counsel