Le concept du 28ème régime, "serpent de mer" dans les discussions européennes, a refait surface dans l’actualité européenne très récente, notamment à l’occasion de la remise du rapport sur la compétitivité européenne de Mario Draghi et de l’entrée en fonction de la nouvelle Commission européenne, le 1er décembre dernier.
L'idée d'un cadre juridique optionnel pour harmoniser les droits des contrats au sein de l'Union européenne a été évoquée à maintes reprises, notamment dans l'avis du Comité économique et social européen de 2011. Cet avis soulignait les avantages potentiels d'un tel régime, un outil pertinent pour réduire les disparités entre les systèmes juridiques nationaux et faciliter les transactions transfrontalières. Malgré les propositions qui ont pu prospérer dans certains domaines (avec par exemple le brevet unitaire européen), la mise en œuvre concrète d'un 28ème régime reste un projet au potentiel inachevé, et un défi majeur pour l’Union.
Le rapport de Mario Draghi, ancien Président de la Banque centrale européenne, apporte une nouvelle perspective sur le 28ème régime en insistant sur la promotion de l'innovation et le soutien aux entreprises à forte croissance. Faisant le constant du retard de l’Union européenne par rapport à d’autres blocs régionaux, Mario Draghi propose la création d'un statut de Société européenne innovante, offrant aux entreprises une identité numérique unique reconnue par tous les États membres de l'UE.
Cette proposition de Mario Draghi d’un tel régime optionnel appliqué au droit des sociétés ne doit pas surprendre : le statut de la société européenne (SE) est l’un des principaux acquis de régime juridique optionnel dans l’Union. Mais la SE est avant tout une synthèse parfois complexe de plusieurs droits nationaux et est faite pour les grandes entreprises, avec pour principal atout de pouvoir aisément changer d’Etat membre d’établissement.
En évoquant un nouveau statut optionnel de Société européenne innovante, le rapport Draghi va beaucoup plus loin que le statut de SA, ambitionnant de donner aux start-ups européennes un cadre juridique harmonisé adapté à leurs particularités.
Ce statut de Société européenne innovante permettrait aux entreprises de bénéficier d'une législation harmonisée en matière de droit des sociétés, d'insolvabilité, de droit du travail voire de fiscalité, facilitant l’activité à travers l'Union mais sans nécessiter une incorporation séparée dans chaque État membre.
En outre, Draghi recommande une évaluation de l'impact de la réglementation sur les plus petites entreprises (les 24 millions de PME européennes représentent 99% de l'ensemble des entreprises de l'UE et près de deux tiers des emplois du secteur privé), avec pour objectif de réduire le fardeau réglementaire des PME et d’encourager l'innovation et la croissance d'exclure les PME des réglementations que seules les grandes entreprises peuvent respecter.
Le Commissaire Michael McGrath (en charge du portefeuille Démocratie, Justice, Etat de droit, et Protection des consommateurs) s’est vu interpellé à plusieurs reprises sur ce thème du 28ème droit, lors de son audition par les députés européens le 5 novembre.
Le Commissaire McGrath s’inscrit à cet égard dans l’agenda de simplification de la Commission, et son objectif de mieux légiférer. Le Commissaire McGrath souhaite créer un statut juridique à l'échelle de l'UE pour aider les entreprises innovantes à se développer, en leur offrant un ensemble de règles simplifiées et harmonisées.
S’il est clair sur ses objectifs en tant que Commissaire - l'amélioration de la compétitivité européenne, la réduction des charges administratives et la garantie d'un fonctionnement fluide et efficace du marché unique – la méthode qui sera mise en œuvre pour y parvenir demeure incertaine. Le Commissaire McGrath s'est bien entendu engager à travailler en étroite collaboration avec les autres commissaires et parties prenantes, soulignant plusieurs des principes qui pourraient caractériser le 28ème régime, tel qu’un système et fonctionnement intégralement en ligne, un régime intégré et simplifié pour la création de filiales et de succursales dans un autre État membre, la suppression de l’apostille, la mise en place d'un identifiant unique européen pour les entreprises assorti d’un certificat numérique (multilingue) d'entreprise UE.
A l’heure où le déficit européen de compétitivité et d’innovation domine le débat dans l’UE, il n’est pas surprenant que le 28ème régime soit de nouveau au cœur des débats. Un tel régime européen optionnel présente l’avantage de proposer un régime juridique européen harmonisé aux acteurs concernés sans supprimer les régimes nationaux existants, ce qui peut faciliter la négociation politique -toujours très difficile- sur l’harmonisation. Il répond en cela très probablement à un vrai besoin économique, mais soulève des questions redoutables d’acceptabilité par les autorités européennes et nationales.
La mise en œuvre du 28ème régime va ainsi se heurter à de nombreux obstacles et défis. Le compromis d'« harmonisation » réglementaire est l'un des principaux défis, car obtenir un consensus parmi les États membres sur un cadre juridique unifié (même optionnel) peut être difficile en raison des réglementations nationales différentes, des traditions juridiques et des intérêts économiques divergents, surtout si des sujets très sensibles comme le droit du travail ou la fiscalité sont concernés par la proposition.
La volonté politique sera donc cruciale pour la mise en œuvre réussie du 28ème régime. La résistance de certains États membres pourrait retarder ce chantier, malgré les nombreuses réflexions et travaux déjà entamés, tels ceux relatifs à un code des affaires européen. Assurer une application et une conformité cohérentes dans tous les États membres sera essentiel pour maintenir des conditions de concurrence équitables et instaurer la confiance dans ce nouveau régime.
Enfin, l'engagement des parties prenantes, qu’il s’agisse des entreprises, des experts juridiques ou de la société civile, sera nécessaire pour garantir que le 28ème régime réponde aux besoins de toutes les parties impliquées.
Le thème du 28ème régime a été remis au cœur de l’agenda politique européen. Des solutions prometteuses sont envisagées, inspirées par le Rapport Draghi, avec pour objectif ultime d’améliorer la compétitivité européenne et de soutenir les entreprises. Mais le succès de ce chantier dépendra bien sûr de l'engagement de la nouvelle Commission, des parties prenantes et des Etats membres. Rendez-vous est pris pour le Programme de travail de la Commission pour l’année 2025, qui fournira les premières indications sur la possibilité qu'un 28ème régime puisse voir le jour, ou s'il restera un vœu pieux.