Le régime des certificats complémentaires de protection : dernières évolutions
L’année passée a été marquée par un certain nombre d’évolutions dans le régime relatif aux certificats complémentaires de protection (CCP), concernant tant les questions de validité que d’application, avec un impact non négligeable pour l’industrie pharmaceutique.
1. Nouvelles lignes directrices sur les conditions de validité des CCP portant sur une combinaison de principes actifs : renvois préjudiciels C-119/22 et C-149/22
Dans une décision du 19 décembre 2024, la CJUE a rendu une décision très attendue dans les renvois effectués par la Cour finlandaise (C-119/22) et la Cour suprême irlandaise (C-149/22).
Les questions portaient sur l’interprétation des articles 3, a) et 3, c), du règlement 469/2009.
S’agissant de l’article 3, point c), qui exige que le produit n’ait pas déjà fait l’objet d’un CCP, il était question de de savoir si un CCP accordé pour un principe actif A empêcherait l’octroi d’un CCP pour la combinaison A+B.
La CJUE juge que l’article 3, c), doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à l’octroi d’un CCP pour un produit composé de deux principes actifs même si l’un des deux principes actifs a déjà fait, seul, l’objet d’un CCP antérieur et qu’il est le seul à avoir été divulgué par le brevet de base, tandis que l’autre principe actif était connu à la date de dépôt.
La Cour, suivant les conclusions de l’avocat général du 6 juin 2024, a adopté une définition stricte du « produit« , à savoir « le principe actif ou la composition de principes actifs d’un médicament » (comme elle l’avait déjà fait dans l’affaire Santen).
Elle a donc jugé qu’une combinaison de principes actifs A + B constitue un produit différent de A ou B. Si le CCP antérieur a été accordé à A seul, un CCP ne peut pas être refusé pour ce motif pour A+B.
En ce qui concerne l’article 3 a), qui exige que le produit soit « protégé » par le brevet de base, la question était de savoir si cette condition est remplie si le produit est expressément mentionné dans les revendications dudit brevet.
La jurisprudence en vigueur a été établie dans l’affaire Teva (C-121/17), où il a été jugé qu’un produit composé de plusieurs principes actifs ayant un effet combiné est protégé par un brevet de base lorsque, même si la combinaison de principes actifs n’est pas explicitement mentionnée dans les revendications du brevet de base, cette combinaison est nécessairement et spécifiquement visée dans ces revendications. À cette fin :
- la combinaison de ces principes actifs doit relever nécessairement, à la lumière de la description et des dessins de ce brevet, de l’invention couverte par celui-ci, et
- chacun desdits principes actifs doit être spécifiquement identifiable, à la lumière de l’ensemble des éléments divulgués par ledit brevet.
Toutefois, des incertitudes subsistaient parmi les praticiens du droit des CCP, notamment sur le point de savoir si ces exigences étaient cumulatives.
Ce débat a été tranché par la Cour, qui a estimé que le test Teva en deux étapes s’applique que le produit soit ou non explicitement mentionné dans les revendications du brevet de base.
Concrètement, concernant les CCP portant sur une combinaison de principes actifs, cette condition est remplie lorsque A et B sont explicitement mentionnés dans les revendications de ce brevet et que le fascicule de celui-ci enseigne que A peut être utilisé comme médicament à usage humain seul ou en combinaison avec B, qui est dans le domaine public, à condition que la combinaison de A+B relève nécessairement de l’invention couverte par le même brevet.
Le fascicule de ce brevet doit indiquer comment la combinaison de ces deux ingrédients actifs est une caractéristique qui contribue à la solution du problème technique.
La Cour a ajouté que les deux principes actifs doivent avoir un effet combiné « allant au-delà de la simple addition des effets de ces deux principes actifs et qui contribue à la solution du problème technique« .
Elle a donc suivi pour l’essentiel les recommandations de l’avocat général, dont les conclusions éclairent l’interprétation à donner à cet arrêt.
L’avocat général a en effet souligné que si cette solution est similaire à l’approche « problème-solution » pour déterminer s’il y a une activité inventive au titre de l’article 56 de la CBE, il ne s’agit pas ici de déterminer si la combinaison de A+B est inventive, mais seulement d’apprécier a posteriori ce que le brevet divulgue.
Bien que cela clarifie les conditions d’obtention de CCP pour les combinaisons de principes actifs, la mise en œuvre de ces nouvelles orientations sera conditionnée par la manière dont elles seront reçues et appliquées par les juridictions nationales.
2. Exceptions à la protection des CCP : l’approche des juridictions nationales de l’UE
La protection par les CCP permet aux détenteurs de brevets de prolonger la période pendant laquelle ils peuvent invoquer un brevet pour des médicaments dont le temps de développement a réduit la période d’exploitation effective.
Toutefois, afin de préserver la compétitivité des fabricants de l’UE par rapport aux fabricants de pays non membres de l’UE dont la protection de la propriété intellectuelle est moindre, le règlement (UE) 2019/933 a établi des mécanismes de dérogation aux CCP.
Le règlement autorise ce qui suit :
- Pendant toute la durée de validité du CCP, la fabrication (ou tout acte connexe strictement nécessaire) en vue de l’exportation vers un pays tiers d’un produit protégé par le CCP ;
- Pendant les six derniers mois de la durée de validité du CCP, la fabrication et le stockage (ou tout acte connexe strictement nécessaire) d’un produit protégé par un CCP avant leur lancement dans l’UE.
Toutefois, certains mécanismes de protection s’appliquent : la dérogation ne s’applique que si le fabricant avertit le titulaire du CCP, trois mois avant le premier acte qui constituerait autrement une contrefaçon.
Un certain nombre de décisions récentes des juridictions nationales ont porté sur les modalités de ces notifications.
L’une des premières interprétations a été celle du Landgericht de Munich le 20 octobre 2023, dans une affaire opposant Janssen Biotech, le détenteur du brevet, et Formycon, le fabricant de biosimilaires. La question était de savoir si Formycon devait fournir un numéro de référence d’autorisation de mise sur le marché (AMM) et une liste de pays d’exportation dans le cadre de sa notification de dérogation à Janssen.
Le tribunal de Munich a donné la primauté à l’intérêt du breveté à connaître le pays d’exportation, sur l’intérêt du fabricant à garder ce pays confidentiel. Il a donc jugé que le numéro de référence de l’AMM ou la divulgation d’informations sur le futur pays d’exportation devaient être fournis, car c’est le seul moyen de vérifier si l’exportation est susceptible d’entrer en conflit avec un droit de brevet.
Suite à cette décision, considérée par de nombreux praticiens comme trop restrictive, la jurisprudence d’autres juridictions a conduit à des changements dans l’interprétation des règlements.
La Cour de La Haye a en effet statué sur cette question le 23 janvier 2024. Samsung Bioepis avait l’intention de fabriquer et de stocker un biosimilaire dans l’UE en vue de l’exporter vers des pays tiers, où Janssen avait des brevets, et de le commercialiser dans l’UE après l’expiration du CCP.
La Cour prend le contre-pied du tribunal de Munich et considère que la notification n’exige pas que soit fourni le numéro de référence d’une AMM délivrée, celui-ci pouvant être fourni ultérieurement, dès qu’il est accessible au public. En outre, il a jugé que les règlements n’exigent pas que les pays d’exportation soient exempts de protection par les brevets et qu’il était légitime d’omettre l’identification des pays tiers où les produits devaient être exportés.
Enfin, la Cour a décidé qu’il n’était pas interdit stocker des produits dans l’UE avant de les exporter, étant donné que l’exception couvre non seulement la fabrication, mais aussi les actes connexes strictement nécessaires à l’exportation, tels que le stockage temporaire. Elle ajoute que, bien que les règlements ne mentionnent pas de durée maximale pour le stockage, celui-ci est autorisé pour une période habituelle dans le secteur.
Enfin, cette approche clémente a également été choisie par le tribunal des entreprises de Bruxelles, dans un arrêt du 23 décembre 2024.
Par conséquent, il semblerait que l’interprétation qui prévaut en ce qui concerne les exigences relatives à la notification de la renonciation soit la suivante :
- Il n’est pas nécessaire de détenir un numéro d’AMM, qui peut être fourni dès qu’il est disponible ;
- Il n’est pas nécessaire que les pays d’exportation prévus ne bénéficient d’aucune protection par brevet ;
- Le stockage temporaire des produits à exporter est autorisé, à condition qu’il soit strictement nécessaire à l’exportation.