La réforme du régime des nullités en matière sociétaire
Soucieux de promouvoir l’attractivité du droit français au service du financement et de l’activité des entreprises, le législateur avait adopté dans cette perspective une importante loi en date du 13 juin 2024. Plutôt bien accueillie par la pratique, celle-ci avait notamment proposé des facilités nouvelles en matière d’augmentation de capital et de prise à distance de décisions sociales, et ouvert la voie au développement d’actions à droits de vote multiples pour les sociétés désireuses d’accéder à la cotation. Était en revanche passée plus inaperçue sa disposition habilitant – une fois de plus – le gouvernement à légiférer par ordonnance sur la question des nullités en droit des sociétés.
C’est peu dire, pourtant, que cette question revêt des enjeux pratiques considérables, d’où l’intérêt majeur de l’ordonnance projetée, et finalement publiée le 13 mars dernier[1], à l’extrême limite du délai de 9 mois qu’ouvrait l’habilitation du législateur. Cet intérêt est encore renforcé par les termes du texte, dont la préparation semble être intervenue dans un cercle relativement restreint, et dans un contexte politique peu propice à une lente maturation. On pouvait donc craindre que le résultat ne soit guère satisfaisant, craintes qui doivent être heureusement être démenties à la lecture de l’ordonnance.
De fait, et disons-le d’emblée, celle-ci semble efficacement remédier à la plus grande partie des défauts qui grevaient le système des nullités en matière sociétaire. Sur la forme, ce dernier était marqué par un enchevêtrement de dispositions du Code civil et du Code de commerce, qui venaient se chevaucher et parfois se contredire, dans un désordre amplifié par une jurisprudence erratique. Sur le fond, les incertitudes étaient nombreuses, tenant tout à la fois à des causes de nullité dont l’identification était passablement ardue et à des effets des nullités particulièrement difficiles à maîtriser.
Si tous ces maux ne sont pas éteints par le nouveau texte, on peut néanmoins être d’avis qu’il est de nature à grandement améliorer l’état de droit sur la question, en venant tout à la fois le clarifier et le sécuriser. L’observation vaut tant pour la nullité des sociétés dans leur ensemble (I) que, surtout, pour celle de leurs décisions (II).
1. La nullité des sociétés et des apports
Bien que cette question ne soit pas sujette à un contentieux équivalent, les auteurs de l’ordonnance ont choisi de l’inclure dans le périmètre de leur révision.
Jusqu’à présent, deux régimes de nullité coexistaient selon que la société était civile ou commerciale, à quoi il fallait ajouter la prise en compte des dispositions de la directive (UE) 2017/1132 du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés, et applicable aux seules sociétés de capitaux. Il en résultait un dispositif particulièrement illisible, induisant des distinctions dont la justification était plus qu’incertaine. L’ordonnance vient heureusement clarifier cet ensemble en unifiant les causes de nullité de toutes les sociétés indépendamment de leur forme sociale, et en les regroupant au sein d’une disposition unique.
Aux termes de cette dernière, en l’occurrence l’article 1844-10 du Code civil, « la nullité de la société ne peut résulter que de l’incapacité de tous les fondateurs ou de la violation des dispositions fixant un nombre minimal de deux associés ».
Ainsi, d’une part, l’ordonnance permet – enfin – une mise en conformité des textes français au droit de l’UE, alors même que la CJUE avait considéré en 1990 dans son célèbre arrêt Marleasing que les causes de nullité des sociétés soumises à la directive précitée étaient limitativement énumérées par cette dernière, si bien que les dispositifs des Etats membres ne pouvaient prévoir des causes supplémentaires. On observera que le texte va plus loin que ce qui était requis à cet égard, puisqu’il soumet toutes les sociétés – et non les seules sociétés capitaux – aux termes de l’article 1844-10 nouveau.
D’autre part, l’ordonnance allège substantiellement ces causes de nullité. D’abord, alors qu’elle était jusqu’alors rangée parmi ces dernières, la nullité des apports est désormais appréhendée distinctement de la nullité de la société, en ce qu’elle repose sur les causes de nullité des décisions sociales. Ensuite, l’illicéité de l’objet social n’est plus une cause de nullité de la société, pas plus que les causes de nullité des contrats en général, ce qui ne devrait guère bouleverser la pratique tant le contentieux était sur ce point inexistant. Relevons enfin que la fraude et la fictivité ne sont toujours pas mentionnées par les textes, bien que la jurisprudence y voie toujours ponctuellement des causes de nullité, de sorte qu’il n’est pas certain qu’elle accepte à l’avenir de renoncer à sa position.
2. La nullité des décisions sociales
C’est bien là le cœur de la présente réforme, et les changements opérés apparaissent bien plus substantiels, au moins sur trois points fondamentaux.
S’agissant en premier lieu des causes de nullité, il faut d’abord rappeler que le dispositif en œuvre n’envisageait que la violation de dispositions légales et était insatisfaisant à maints égards, en procédant à des distinctions byzantines. D’un côté, pour les sociétés commerciales, il distinguait ainsi selon que les décisions en cause opéraient ou non modification des statuts, pour n’annuler les premières que si la disposition violée visait expressément la nullité. Quant aux secondes, il fixait un critère de localisation des dispositions impératives dont la violation pouvait conduire au prononcé de la nullité, en exigeant que celles-ci figurent dans le livre II du Code de commerce. D’un autre côté, pour les sociétés civiles, les décisions n’étaient annulables qu’en cas de violation d’une disposition impérative des dispositions de droit des sociétés figurant dans le Code civil.
L’ordonnance vient sur ce point utilement unifier les causes de nullité dans le seul article 1844-10 alinéa 3 du Code civil, et prévoir que celles-ci résident, en sus – demain comme hier – des causes de nullité des contrats en général, dans la seule violation d’une « disposition impérative du droit des sociétés ». Il reviendra au juge de tracer les contours précis (i) de l’impérativité et (ii) de la notion de disposition relevant du droit des sociétés, ce qui ne semble toutefois pas une tâche insurmontable.
Par ailleurs, dans le silence de la loi, la jurisprudence avait admis, par son célèbre arrêt Larzul, que la décision sociale prise en violation d’une clause statutaire pût être annulée, mais seulement dans les – rares – cas où la clause constituait l’aménagement conventionnel d’une disposition impérative. L’ordonnance tranche ici dans le vif, d’une manière sans doute discutable en ce qu’elle procède à une nouvelle distinction selon la forme sociale. D’un côté, le texte semble par principe écarter abruptement toute nullité pour cause de violation des statuts, ce qui remettrait en cause la jurisprudence Larzul. D’un autre côté, concernant les seules SAS, cette possibilité serait en revanche admise, à charge pour les statuts eux-mêmes de préciser les stipulations dont la violation donnerait lieu à une telle sanction, d’où un arbitrage nouveau à réaliser dans l’avenir pour les acteurs des SAS. Précisons à cet égard que l’action en nullité alors menée devrait toutefois se conformer au cadre légal nouvellement tracé par ailleurs par l’ordonnance, notamment quant au pouvoir du juge.
De fait, et s’agissant en second lieu de l’action en nullité, ce pouvoir du juge se trouve sensiblement accru par rapport au droit existant. Jusqu’à présent, celui-ci envisageait des nullités de droit et des nullités facultatives, sans que la distinction fût toujours très claire, à quoi s’ajoutaient les aléas de la jurisprudence qui paraissait parfois requérir des éléments supplémentaires pour accueillir l’action, tel un grief du demandeur.
Le droit nouveau ressort à cet égard clarifié et plus sûr. D’une part, l’ordonnance retient par principe le caractère facultatif des nullités, en laissant donc au juge le soin d’apprécier si la nullité doit ou non être prononcée. D’autre part, ce pouvoir est toutefois sensiblement encadré, puisque le juge devra procéder à un « triple test », la nullité ne pouvant être prononcée que si trois critères cumulatifs sont remplis : (i) l’existence d’un grief invoqué par le demandeur, (ii) l’existence d’une influence de l’irrégularité sur le sens de la décision et (iii) l’absence de conséquences excessives pour l’intérêt social, selon un contrôle de proportionnalité.
Le risque de nullité des décisions sociales devrait donc s’en trouver sensiblement réduit, ce qui satisfera la pratique, même s’il faut relever qu’un certain nombre d’entre elles se trouvent expressément soustraites au « triple test », et par là même devraient être annulées par le juge du seul fait de leur irrégularité. Cette tendance est de surcroît accrue par la réduction du délai de prescription des actions en nullité, qui passe de trois à deux ans, en sachant que les délais plus réduits spécifiquement prévus en matière d’augmentations de capital et de fusions demeurent pour l’essentiel inchangés.
S’agissant en dernier lieu des effets des nullités, toujours redoutés par la pratique au regard de leur caractère mal maîtrisé et potentiellement ravageur, l’ordonnance vient également apporter une contribution bienvenue. De fait, en l’absence de dispositions en traitant, le risque de « nullités en cascade » d’une série de décisions sociales était jusqu’alors manifeste. Désormais, le juge pourra différer dans le temps les effets de la nullité par un contrôle de proportionnalité, au regard de leur caractère manifestement excessif pour l’intérêt social, de sorte que sa rétroactivité sera limitée, et le nombre de décisions annulées possiblement réduit. Par ailleurs, la règle selon laquelle les irrégularités de désignation et de composition d’un organe social n’entraînent pas en tant que telles la nullité des décisions subséquentes est érigée en principe général, sauf dispositions contraires.
On perçoit donc que le texte nouveau aura nécessairement un impact important sur les nullités en matière sociétaire, en rendant potentiellement le contentieux plus limité et moins aléatoire. Précisons pour finir que ces évolutions entreront en vigueur à compter du 1er octobre 2025, ce qui laisse entendre que les sociétés constituées et les décisions sociales prises avant cette date devraient demeurer soumises aux règles antérieures à l’ordonnance.