Les décrets du président Trump annoncent une nouvelle frontière américaine pour la fiscalité internationale
La série de décrets (executive orders) émise par la Maison-Blanche du Président Trump au cours des 10 premiers jours de son mandat comprend un certain nombre de directives fiscales posant les bases d’un profond changement dans la façon dont les États-Unis négocieront avec le reste du monde en matière de fiscalité internationale. Compte tenu de l’attention portée aux décrets couvrant l’immigration et diverses questions socioculturelles, il est facile de passer à côté des bases que ces directives posent en vue d’une approche punitive et unilatérale des États-Unis à l’égard d’initiatives fiscales internationales bilatérales et multilatérales, y compris l’accord fiscal mondial au centre de l’attention de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) depuis de nombreuses années. Certaines de ces directives fiscales sont enfouies dans des décrets qui ne concernent pas ouvertement la fiscalité. Ensemble, l’impact potentiel de ces différentes directives fiscales pourrait être considérable. En outre, avec un Congrès majoritairement républicain aligné sur la Maison-Blanche sur les questions fiscales, il n’y aura que très peu d’obstacles sur la voie choisie par l’administration Trump et mise en œuvre par le Trésor et l’IRS, pour remodeler l’approche américaine en matière de fiscalité internationale vers une position plus protectionniste. Cette alerte offre un aperçu des principales initiatives prises par les décrets fiscaux de l’administration Trump.
Le décret sur l’Accord Fiscal Mondial
Le 20 janvier 2025, un décret a été publié intitulé « The Organization for Economic Co-operation and Development (OECD) Global Tax Deal» (« L’Accord Fiscal Mondial de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) » ou l’« Accord Fiscal Mondial » ). Le décret sur l’Accord Fiscal Mondial retire les États-Unis des négociations et des accords compris dans les accords Pilier 1 et Pilier 2 de l’OCDE (les « Accords Piliers »), qui découlent du projet à long terme « Base Erosion and Profit Shifting » (« Erosion de la Base d’Imposition et Transfert de Bénéfices ») mené par l’OCDE et adopté à différents niveaux par plus de 140 pays membres de l’OCDE. Les États-Unis n’ont jamais officiellement adhéré aux Accords Piliers, et leur participation a longtemps fait l’objet de divergences politiques entre républicains et démocrates. Toutefois, l’administration Biden avait proposé diverses lois nationales qui auraient aligné les États-Unis sur certains aspects importants des Accords Piliers. Le décret du 20 janvier clarifie et confirme néanmoins que tout engagement antérieur pris par l’administration précédente au nom des États-Unis en ce qui concerne l’Accord Fiscal Mondial n’aura aucune autorité ou portée aux États-Unis sans l’adoption par le Congrès d’une loi ratifiant l’Accord Fiscal Mondial. Bien que ce décret sur l’Accord Fiscal Mondial énonce une position de la Maison-Blanche et du Congrès déjà connue ou prévisible, elle pourrait encore avoir un impact sur la détermination des autres pays membres de l’OCDE à s’engager sur les Accords Piliers. En tout état de cause, pour le monde entier et en particulier pour les pays de l’Union Européenne, y compris la France, ce décret confirme que tout progrès concernant les Accords Piliers ou toute autre initiative fiscale internationale mondiale n’impliquera pas les États-Unis, du moins pas dans un avenir proche.
En plus de préciser que les États-Unis ne participeront pas à l’Accord Fiscal Mondial, le décret demande également au Secrétaire au Trésor américain d’examiner spécifiquement si un pays partie à une convention fiscale avec les Etats-Unis ne se conforme pas à ses obligations en vertu de ladite convention, ou si un pays a mis en place des règles fiscales extraterritoriales pouvant avoir un impact fiscal disproportionné sur les entreprises américaines. Le décret de l’Accord Fiscal Mondial prévoit que le Secrétaire au Trésor américain doit présenter au Président, d’ici la mi-mars, une liste de mesures protectrices et autres actions que les États-Unis pourraient adopter comme contre-mesure à de tels impôts extraterritoriaux ou disproportionnés. Combinée à certaines des directives fiscales discutées ci-dessous, cette disposition marque le début d’une nouvelle ère pour les Etats-Unis qui pourraient poursuivre agressivement, par le biais d’une politique fiscale punitive, tout pays considéré comme ayant, pour son profit fiscal, un impact excessif sur les entreprises américaines.
Le décret sur la politique commerciale « America First »
En complément du décret sur l’Accord Fiscal Mondial et de la directive au Secrétaire au Trésor américain d’identifier les pays dont les règles fiscales sont jugées préjudiciables aux intérêts américains, le décret « American First Trade Policy » publié le 20 janvier 2025, mentionne dans une Section 2(j) quelque peu enfouie, que la Section 891 du Code fiscal américain fournit un fondement légal et une procédure permettant aux États-Unis de prendre certaines mesures fiscales punitives à l’encontre de tout pays étranger qui soumettrait des citoyens américains ou des sociétés américaines à une imposition extraterritoriale ou disproportionnée. La Section 891, qui existe depuis 1934, permet au Président, à sa seule discrétion, après une enquête constatant une discrimination fiscale par un autre pays vis-à-vis des États-Unis, et sans l’intervention ni l’approbation du Congrès, de doubler le taux d’imposition des citoyens et des sociétés de tout pays étranger qui se livre à une imposition discriminatoire des intérêts américains. Le champ d’application des impôts couverts comprend l’impôt sur le revenu et la retenue à la source.
Cette loi n’a jamais été appliquée et il n’existe pas de règlement d’application. (A noter, la loi a vu le jour à l’époque d’un différend fiscal avec la France en 1934 qui a finalement été résolu, peut-être en grande partie en raison de la menace des Etats-Unis de déclencher la nouvelle section 891 contre les entreprises et ressortissants français).[1] Au regard de la formulation générale de l’article 891, son application serait largement laissée à l’interprétation du Président. Compte tenu de la directive adressée au Secrétaire au Trésor en vertu du décret sur l’Accord Fiscal Mondial, il semble clair que parmi les contre-mesures prévues par les États-Unis à l’encontre de tout pays qui violerait une convention fiscale américaine ou ferait preuve de discrimination à l’égard des contribuables américains, il y a la double imposition directe des revenus de source américaine gagnés par les citoyens et les entreprises du pays en cause.
La loi sur la défense de l’emploi et de l’investissement américains
Pour renforcer les principes incarnés par les décrets évoqués ci-dessus, le 22 janvier 2025, les républicains de la Chambre ont ressuscité une législation initialement proposée en 2023 « the Defending American Jobs and Investment Act (H.R. 591) » (la « Loi sur la défense de l’emploi et de l’investissement américains » ou la « Proposition de Loi »). La rédaction de la Proposition de Loi, qui semble s’aligner quelque peu sur le cadre d’analyse de la Section 891, excepté pour le fait que son application nécessiterait l’accord du Congrès, augmenterait le taux d’imposition appliqué aux revenus de source américaine des citoyens et des sociétés de pays se livrant à une imposition discriminatoire des intérêts américains de 5% chaque année pendant quatre ans. Le taux d’imposition américain resterait plafonné à 20% tant que le cadre fiscal du pays en cause demeurerait en place.
La proposition de loi originale a été introduite en réaction aux Accords Piliers en tant que contre-mesure américaine spécifique à la règle relative aux bénéfices insuffisamment imposés, une caractéristique clé du Pilier 2 permettant à d’autres pays d’évaluer efficacement un impôt complémentaire sur les sociétés américaines insuffisamment imposées (le terme « insuffisamment imposé » étant défini par référence à l’imposition mondiale minimum de 15 % adopté par les Accords Piliers). Toutefois, selon le texte de la proposition de loi originale (à noter que le texte mis-à-jour n’a pas encore été publié), ses dispositions pourraient s’appliquer de la même manière à tout impôt étranger jugé discriminatoire, que ce soit dans le cadre du Pilier 2 ou séparément dans le cadre d’une taxe sur les services numériques (digital services tax) comme la taxe GAFA par exemple, ou d’un impôt sur les bénéfices détournés (diverted profits tax). Dans le communiqué de presse sur la Proposition de Loi, le Président de la Commission des Voies et Moyens de la Chambre (House Ways and Means Committee) a déclaré que la Commission garantira au Président « tous les outils à sa disposition pour repousser tout pays qui cherche à compromettre la vitalité économique de l’Amérique ou à cibler injustement nos travailleurs et nos entreprises ». En outre, le nouveau Secrétaire au Trésor, Scott Bessent, a récemment déclaré lors d’une audience du Sénat sur les finances le 16 janvier 2025, que tout pays mettant en œuvre le Pilier 2 commettrait une « grave erreur » car « l’imposition des entreprises américaines est une question souveraine sur laquelle seul le Congrès a autorité ». Il en ressort une position claire des États-Unis s’agissant des Accords Piliers et de toute imposition extraterritoriale.
Les droits de douane (tariffs)
Depuis l’entrée en fonction de la nouvelle administration le 20 janvier dernier, les droits de douane ont été au cœur des discussions et un levier pour les États-Unis en ce qui concerne l’immigration illégale et le commerce de la drogue, bien que les droits de douane n’aient pas encore été cités spécifiquement comme une mesure en réaction aux politiques fiscales adoptées par d’autres pays. Pour autant, l’administration précédente de Trump avait déjà fait planer la menace de droits de douane en réaction aux taxes sur les services numériques proposées, par exemple, par la France et le Canada. Le 1er février 2025, l’administration a mis en place des droits de douane sur les importations en provenance de Chine (10%), du Canada (25%, à l’exception des ressources énergétiques à 10%) et du Mexique (25%), en vertu de la loi sur les pouvoirs économiques d’urgence internationale (International Emergency Economic Powers Act) pour contrer « la menace extraordinaire posée par les étrangers en situation irrégulière et les drogues ». Le 3 février 2025, après que les dirigeants du Canada et du Mexique ont annoncé des mesures visant à renforcer la sécurité à leur frontière en réponse à la demande de Trump de limiter l’immigration et la contrebande de drogue, Trump a accepté de suspendre l’imposition des droits de douane sur les importations en provenance du Canada et du Mexique pendant 30 jours afin de voir si un accord économique pouvait être trouvé. Bien que les négociations semblent à nouveau sur la table, il n’y a aucune bonne raison de croire que les droits de douane ne figureront pas parmi les instruments utilisés par l’administration contre l’UE pour promouvoir la protection de l’assiette fiscale américaine. Il semble probable que l’administration considérera les droits de douane, combinés à des contre-mesures fiscales punitives, comme un moyen puissant de dissuader d’autres pays d’envisager des mesures fiscales potentiellement extraterritoriales ou discriminatoires envers les Etats-Unis.
Quels impacts sur la France ?
La mise en œuvre nationale par la France des Accords Piliers, y compris la règle des bénéfices insuffisamment imposés du Pilier 2, ou encore la taxe GAFA, qu’il a été récemment proposé d’augmenter de 3% à 5%, est susceptible de placer la France sur le radar des représailles de l’administration américaine actuelle. Alors que les gouvernements américains précédents, y compris la première itération de l’administration actuelle, ont eu l’occasion de s’asseoir à la table des négociations pour trouver des solutions, tout indique que les États-Unis n’ont qu’un appétit minime, voire nul, pour de telles discussions bilatérales. En 2019, les États-Unis avaient déjà jugé que la taxe GAFA de 3% sur les services numériques était « déraisonnable ou discriminatoire » et pouvait donc faire l’objet de poursuites en vertu de la Section 301 du Trade Act de 1974. Il est donc quasiment certain que toute enquête américaine sur une taxe française de 5% sur les services numériques aboutirait au même résultat. De plus, de nombreux fiscalistes estiment que les États-Unis ont suffisamment de raisons d’affirmer que la mise en œuvre de la règle des bénéfices insuffisamment imposés du Pilier 2, en particulier, viole le principe majeur des conventions fiscales américaines en ce qui concerne l’imposition par le pays partie à la convention des revenus d’un non-résident qui n’ont pas de source ou de lien avec une activité dans ledit pays. Par conséquent, il existe diverses voies pour les États-Unis de considérer que le cadre fiscal actuel de la France est discriminatoire à l’égard des intérêts américains. Si la réitération de la menace de 2020 imposant des droits de douane américains à hauteur de 25% sur 1,3 milliard de dollars de produits français est prévisible, l’ajout, dans le cadre de ces décrets, de la possibilité d’augmenter de manière ciblée les impôts américains sur les revenus américains des citoyens et des entreprises français ouvrirait un nouveau front plus combatif de la part des États-Unis.
[1] House Ways and Means Committee, Revenue Act 1934, 12 février 1934, H.Rept.73-704, p. 26 (déclarant que la disposition a été introduite pour empêcher les pays étrangers de prélever des impôts discriminatoires contre les citoyens et les sociétés américains).
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