Covid-19 | Loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire : retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux
L’article 14 de la Loi prévoit, pour certains preneurs exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative et répondant à des critères d’éligibilité à définir par un décret d’application, une neutralisation des sanctions contractuelles et des recours judiciaires dont disposent en principe les bailleurs pour recouvrir les loyers et les charges locatives impayés pendant la période au cours de laquelle l’activité économique est affectée (les « Mesures de Neutralisation »).
Le point de départ et la fin de ces Mesures de Neutralisation posent cependant certaines questions pratiques. En revanche, l’articulation entre les Mesures de Neutralisation et les dispositions des ordonnances n° 2020-306 et n° 2020-316 du 25 mars 2020 ne devrait a priori pas poser de difficulté particulière.
Remarque : l’article 14 de la Loi contient aussi des dispositions relatives à la suspension, à l’interruption et à la réduction, y compris par résiliation de contrat, de la fourniture d’électricité, de gaz ou d’eau aux preneurs bénéficiant des Mesures de Neutralisation pour non-paiement par ces derniers de leurs factures. Ces dispositions ne sont pas examinées dans la présente note.
CHAMP D’APPLICATION MATÉRIEL DES MESURES DE NEUTRALISATION
Les preneurs bénéficiaires
Les Mesures de Neutralisation s’appliquent aux preneurs remplissant les conditions cumulatives suivantes:
- être une personne physique ou morale de droit privé ;
- exercer une activité économique « affectée par une mesure de police administrative prise en application des 2° ou 3° du I de l’article 1er de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire ou du 5° du I de l’article L.3131-15 du code de la santé publique, y compris lorsqu’elle est prise par le représentant de l’État dans le département en application du second alinéa du I de l’article L.3131-17 du même code » ;
- répondre à des « critères d’éligibilité » qui seront précisés par un décret d’application, étant précisé que ce décret déterminera « les seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d’affaires constatée du fait de la mesure de police administrative »[1].
Les « mesures de police administrative » visées par l’article 14 de la Loi sont principalement celles visant à:
- réglementer l’ouverture au public, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou de plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion ;
- réglementer la fermeture provisoire d’une ou de plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunions ;
- réglementer les rassemblements de personnes, les réunions et les activités sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public.
- ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion.
La Loi proroge jusqu’au 16 février 2021 l’état d’urgence sanitaire et jusqu’au 1er avril 2021 le régime transitoire permettant au Premier ministre de réglementer l’accès du public aux établissements recevant du public (ERP) voire de l’interdire en cas d’impossibilité de faire respecter les protocoles sanitaires, de telle sorte que des « mesures de police administrative » entrant dans le champ d’application de l’article 14 de la Loi pourraient être prises ou prolongées jusqu’au 1er avril 2021.
Les sanctions paralysées
Les Mesures de Neutralisation font obstacle, pour les preneurs bénéficiaires, à la mise en œuvre des sanctions suivantes :
- les intérêts, pénalités et mesures financières pour retard ou non-paiement des loyers et/ou des charges locatives ;
- les actions, sanctions ou voies d’exécution forcée pour retard ou non-paiement des loyers et/ou des charges locatives (ce qui comprend, notamment, la mise en œuvre de toute clause pénale ou de toute clause résolutoire prévue dans le bail) ;
- les sûretés réelles ou personnelles garantissant le paiement des loyers (ce qui comprend, notamment, les hypothèques, nantissements, cautionnements, etc.) ; et
- les mesures conservatoires (ce qui comprend, notamment, les saisies conservatoires sur des comptes bancaires, etc.).
Les Mesures de Neutralisation s’appliquent quelles que soient les clauses prévues dans le bail, l’article 14 précisant que « toute stipulation contraire, notamment toute clause résolutoire ou prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou retard de paiement de loyers ou charges, est réputée non écrite ».
Toutefois, les Mesures de Neutralisation ne font pas obstacle à la compensation[2] entre les sommes dues par le locataire et le bailleur, ce qui suppose que ce dernier soit lui-même redevable de sommes d’argent envers le preneur[3].
Par ailleurs, les Mesures de Neutralisation ne remettent pas en cause l’exigibilité des loyers et des charges locatives dus par les preneurs bénéficiaires au titre de leur bail, quelle que soit la période concernée.
Les loyers et charges locatives concernés
Les Mesures de Neutralisation s’appliquent « aux loyers et charges locatives [afférents aux locaux professionnels ou commerciaux et] dus pour la période au cours de laquelle l’activité de l’entreprise est affectée par une mesure de police » visée ci-dessus.
La rédaction de l’article 14 pourrait soulever des difficultés quant à la détermination de « la période au cours de laquelle l’activité de l’entreprise est affectée par une mesure de police » (voir ci-après).
CHAMP D’APPLICATION TEMPOREL DES MESURES DE NEUTRALISATION
Point de départ des Mesures de Neutralisation
Il résulte de la rédaction visée ci-dessus que le point de départ des Mesures de Neutralisation correspond au moment où l’activité du preneur bénéficiaire commence à être « affectée par une mesure de police » visée ci-dessus.
En pratique, cela pourrait par exemple correspondre, pour de nombreuses activités, au 29 octobre 2020 à minuit, c’est-à-dire à la date de l’entrée en vigueur du décret n° 2020-1310 imposant un nouveau confinement.
En outre, la Loi précise que l’article 14 « s’applique à compter du 17 octobre 2020 ».
Le caractère général des mesures de police administrative visées ci-dessus et l’ambiguïté du terme « affectée » pourraient cependant conduire à une interprétation différente, prenant en compte des mesures antérieures. Il paraît donc souhaitable que le décret d’application apporte des précisions à ce sujet.
Fin des Mesures de Neutralisation
Les Mesures de Neutralisation s’appliquent, pour les preneurs bénéficiaires, « jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d’être affectée par une mesure de police » visée ci-dessus.
L’article 14 précise que :
- les intérêts ou les pénalités financières ne peuvent être dus et calculés qu’à compter de l’expiration du délai de 2 mois « à compter de la date à laquelle leur activité cesse d’être affectée par une mesure de police » ;
- les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le bailleur à l’encontre du preneur bénéficiaire pour non-paiement de loyers ou de charges locatives exigibles sont suspendues jusqu’à l’expiration de ce même délai de 2 mois.
Une lecture stricte de l’article 14 de la Loi pourrait conduire à considérer que les Mesures de Neutralisation prendront fin à la date à laquelle l’activité économique du preneur cessera effectivement d’être « affectée » (au sens « impactée ») par des mesures de police administrative, ce qui pourrait entraîner, en pratique, d’importantes difficultés d’application.
Toutefois, l’exposé des motifs de l’amendement présenté par le Gouvernement pour introduire les Mesures de Neutralisation dans la Loi indique que celles-ci prendront fin à « l’expiration d’un délai de deux mois après la fin des mesures de restriction de l’activité professionnelle ».
Une lecture de l’article 14 de la Loi à l’aune du but ainsi poursuivi par les pouvoirs publics devrait donc conduire à retenir, pour déterminer la date de fin des Mesures de Neutralisation, la date de fin d’application des mesures de police administrative elles-mêmes, indépendamment de l’impact que celles-ci pourraient continuer à avoir sur l’activité économique du preneur.
Articulation avec les ordonnances n° 2020-306 et n° 2020-316
La paralysie des sanctions visées par l’ordonnance de n° 2020-306 ont cessé depuis le 24 juin 2020. En conséquence, les Mesures de Neutralisation prévues par l’article 14 de la Loi ne se superposent pas avec les dispositions de cette ordonnance.
La paralysie des sanctions visées par l’ordonnance n° 2020-316 prenant en principe fin au 10 septembre 2020, les dispositions de l’ordonnance n° 2020-316 et celles de l’article 14 de la Loi pourraient se compléter pour les preneurs éligibles aux deux dispositifs.
Cependant et sous réserve des dispositions du décret d’application à paraître, le champ d’application des Mesures de Neutralisation prévues par l’article 14 de la Loi s’annonce plus large que celui des dispositions de l’ordonnance n° 2020-316 :
- leur bénéfice ne dépend plus de l’éligibilité du preneur considéré au fonds de solidarité mis en place par les pouvoirs publics, mais de l’impact des mesures de police administrative sur son activité économique ;
- les Mesures de Neutralisation s’appliquent à un ensemble de sanctions et de voies de recours plus étendu que celui visé par l’article 4 de l’ordonnance 2020-316.
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[1] La formulation de l’article 14 de la Loi rappelle celle employée à l’article 1 de l’ordonnance n° 2020-316, qui dispose que « les critères d’éligibilité [au fonds de solidarité] aux dispositions mentionnées ci-dessus sont précisés par décret, lequel détermine notamment les seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d’affaires constatée du fait de la crise sanitaire ».
[2] Au sens de l’article 1347 du Code civil. Celui-ci dispose que « la compensation est l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes. Elle s’opère, sous réserve d’être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies ».
[3] Tel était le cas, par exemple, dans une affaire ayant donné lieu à une décision du Tribunal judiciaire de Paris en date du 10 juillet 2020 (n° 20/04516), qui a autorisé, sur le fondement de la bonne foi, la compensation entre les sommes dues réciproquement par le locataire et par le bailleur. En l’espèce, le bailleur était redevable à l’égard du preneur d’un trop-perçu de loyers en exécution d’un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris.
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