Analyses & décryptages

EGalim 3 : Nouvelle tentative « d’équilibrage » des négociations et relations commerciales

La loi n°2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite « EGalim 3 » ou « Descrozaille », s’inscrit dans la lignée des deux dispositifs éponymes précédents : protéger la rémunération des agriculteurs ainsi que celle des autres maillons de la chaîne. 

Ce troisième volet prend place dans un contexte inflationniste, de guerre en Ukraine et au sortir d’une crise sanitaire, mettant notamment en exergue les questions de souveraineté relatives au secteur. Dans ce cadre, les différentes mesures adoptées poursuivent les objectifs de « sécuriser les chaînes d’approvisionnement, prolonger durablement les dispositions actuellement non définitives, parfaire les conditions de transparence et de bonne foi qui doivent s’appliquer à la négociation pour en équilibrer le rapport de forces économique »[1].

Principaux apports de cette loi : ce qu’il faut savoir !

L’application du droit français et la compétence des juridictions françaises, tant dans les relations que la négociation commerciale, pour tout produit vendu en France.

Un nouvel article L.444-1 A est inscrit dans le code de commerce, prévoyant que les dispositions spécifiques sur les produits agricoles et denrées alimentaires, sur la transparence dans la relation commerciale et sur les pratiques commerciales déloyales sont « d’ordre public » et s’appliquent à toute convention entre un fournisseur et un acheteur « portant sur des produits ou des services commercialisés sur le territoire français ». En outre, tout litige portant sur l’application de ces dispositions « relève de la compétence exclusive des tribunaux français, sous réserve du respect du droit de l’Union européenne et des traités internationaux (…) et sans préjudice du recours à l’arbitrage ».

L’objectif affiché par le législateur est de mieux appréhender les tentatives de contournement de la loi française pour s’affranchir des dispositions protectrices qui y sont prévues. En pratique, nul doute en cas de conflit de lois que cette nouvelle disposition incitera le juge français saisi d’un litige à suivre l’esprit du texte pour appliquer le droit français et qu’elle facilitera les actions de l’administration devant les tribunaux.

La notion de bonne foi dans les négociations et le renforcement des sanctions pour non-respect de la date butoir du 1er mars ou en cas d’échec dans la négociation.

Le législateur met fin, au moins en partie, à l’incertitude juridique tenant aux conséquences de l’absence d’accord entre un fournisseur et un distributeur au 1er mars, date butoir de fin des négociations commerciales.

Trois évolutions notables :

  1. Bonne foi dans la négociation : une nouvelle disposition vient préciser que la négociation de la convention écrite est conduite « de bonne foi, conformément à l’article 1104 du Code civil »[2], opérant ici un simple renvoi à la définition de la bonne foi en droit commun. Ce dispositif est cependant complété par l’ajout d’une nouvelle pratique restrictive de concurrence consistant à ne pas avoir mené de bonne foi les négociations commerciales « ayant eu pour conséquence de ne pas aboutir à la conclusion d’un contrat dans le respect de la date butoir » du 1er mars[3]. Reste à voir comment la jurisprudence caractérisera un abus d’une partie à l’origine de l’échec des négociations.
  1. Dispositif expérimental en l’absence d’accord au 1er mars : le II de l’article 9 de la loi prévoit également, à titre expérimental (pour une durée de 3 ans), qu’à défaut de convention conclue le 1er mars, le fournisseur dispose de la faculté : (i) soit de mettre fin à toute relation commerciale avec le distributeur, sans que ce dernier puisse invoquer la rupture brutale au sens de du II de l’article L.442-1 ; (ii) soit de demander l’application d’un préavis conforme au même II (et donc tenant compte notamment de la durée de la relation commerciale). Le fournisseur dispose également de la possibilité de saisir le médiateur des relations commerciales agricoles (MRCA) pour tenter de trouver avec son partenaire, avant le 1er avril, un accord rétroactif au 1er mars et fixant les conditions du préavis au regard « des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties ».  
  1. Augmentation du montant de la sanction du dépassement de la date 1er mars : celle-ci passe d’une amende administrative maximale de 375 000 € à 1 million d’€ pour une personne morale[4].

L’extension de deux mesures d’expérimentation.

  1. Relèvement du seuil de revente à perte (SRP+10). Initialement introduite par l’ordonnance n°2018-1128 du 12 décembre 2018 dans l’objectif de « susciter un mécanisme de transfert de la marge des distributeurs »[5] et de mieux répartir la valeur entre les différents acteurs de la filière, puis reprise par la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, l’expérimentation liée au relèvement du SRP des produits alimentaires, correspondant à un SRP + 10% de marge obligatoire pour les distributeurs, est reconduite par EGalim 3 pour deux années supplémentaires, soit jusqu’au 15 avril 2025[6].
  2. Double limitation des promotions. Cette mesure d’expérimentation relative au double encadrement des promotions, consistant à encadrer des promotions auprès des consommateurs (limitées à 34% du prix de vente ou à une augmentation de la quantité équivalente) et entre fournisseurs et distributeurs (avec un volume global de promotion limité à 25%), avait elle aussi été introduite par l’ordonnance n°2018-1128 précitée, pour « lutter contre la déflation des prix des produits agricoles dont certains sont vendus à perte comme « produits d’appels » en grande surface »[7]. EGalim 3 procède à deux aménagements : d’une part, cette mesure est prolongée jusqu’au 15 avril 2026 et, d’autre part, elle s’applique aux produits de grande consommation (PGC), incluant donc désormais, outre les produits alimentaires, tout autre produit de grande consommation.
  1. Pour assurer la transparence et le suivi de l’impact de ces deux mesures, la loi n°2023-221 complète les obligations de communication des acteurs économiques de la filière alimentaire pour permettre aux pouvoirs publics d’en analyser les effets.

Un encadrement accru des pénalités logistiques.

EGalim 2 avait commencé à définir un cadre régissant les pénalités logistiques, qu’EGalim 3 vient compléter avec un plafonnement du montant des pénalités logistiques infligées entre fournisseurs et distributeurs  à 2 % de la valeur des produits commandés[8]. Parmi les autres nouveautés d’EGalim 3 à ce sujet : (i) conclusion d’une convention logistique distincte de la convention unique, qui ne suit pas la date butoir du 1er mars ; (ii) interdiction d’infliger lesdites pénalités « pour l’inexécution d’engagements contractuels survenue plus d’un an auparavant » ; (iii) obligation de déclarer le montant des pénalités infligées tous les ans auprès de la DGCCRF, sous peine d’une amende administrative.

Enfin, il est expressément prévu une faculté pour le Gouvernement de suspendre l’application des pénalités logistiques pour une durée maximale de six mois renouvelables, en cas de situation exceptionnelle, extérieure aux parties, affectant gravement les chaînes d’approvisionnement dans un ou plusieurs secteurs, marquant ainsi une fois de plus l’intervention des pouvoirs publics dans le spectre de la négociation et de la relation commerciale.

Le renforcement des mesures en faveur de la non-négociabilité de la matière première agricole (MPA) et son extension aux produits vendus sous marque distributeur (MDD).

A la suite de la mise en place par EGalim 2 du principe de non-négociabilité des MPA, via les trois options de transparence devant être présentées par le fournisseur dans ses conditions générales de vente, la présentation des résultats de 2022 par l’Observatoire des négociations commerciales annuelle a montré que le recours au tiers indépendant en application de la 3ème option ne permet que « peu de transparence (…) sur les surcoûts à prendre en compte » dans la détermination du prix. Pour y répondre, l’option 3 issue d’EGalim 3 prévoit désormais une intervention, à deux reprises, du tiers indépendant certificateur : (i) une première fois pour attester, dans le mois qui suit l’envoi des conditions générales de vente, l’exactitude de l’évolution de la part du tarif du fournisseur qui y est indiquée et (ii) une seconde fois pour attester, à l’issue des négociations, le respect du principe de non-négociabilité de la MPA[9].

Le I de l’article L.441-7 vient en outre préciser que « la négociation du prix ne porte pas sur la part, dans le prix proposé par le fabricant, du prix des [MPA] », rendant le principe de non-négociabilité applicable aux MDD.

L’unification et la clarification du régime applicable aux grossistes.

Pour tenir compte de la spécificité de l’activité des grossistes et clarifier le régime qui leur est applicable[10], EGalim 3 regroupe les dispositions les concernant, autrefois éparpillées dans plusieurs articles du code de commerce, aux articles L.441-1-2 et L.441-3-1, désormais spécifiquement dédiés aux grossistes.

Nouveau critère d’analyse en matière de rupture brutale : prise en compte d’un changement de circonstances économiques pour la détermination du prix au cours du préavis.

Notons enfin, et plus généralement, que le II de l’article L.442-1 du code de commerce a été complété afin de prévoir, pour la détermination du prix au cours du préavis de rupture, la prise en compte « des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties ». Il s’agit ici, semble-t-il, de fournir un nouveau critère d’analyse aux juges pour la caractérisation de la brutalité de la rupture.

Reste à voir si cet énième régime applicable aux négociations et relations commerciales, de plus en plus complexe, sophistiqué et « sous contrôle » administratif, ne sera pas de nouveau amendé à plus ou moins court terme.

A suivre…


[1] Proposition de loi n°575 présentée à l’Assemblée Nationale le 29 novembre 2022, visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation.

[2] Article L.441-4, IV du code de commerce.

[3] Article L.442-1, I, 5 du code de commerce.

[4] Article L.441-6 du code de commerce.

[5] Rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation, 11 janvier 2023, n°684, p.20.

[6] L’analyse d’impact de cette mesure, dont les résultats ont été livrés dans les rapports transmis au Parlement le 30 septembre 2020 et le 24 février 2022, n’avait pas démontré avec certitude son effet de cette expérimentation sur le revenu des agriculteurs mais avait mesuré un faible impact inflationniste.

[7] Rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation, 11 janvier 2023, n°684, p.21.

[8] Article L.441-17, I, du code de commerce pour les pénalités infligées par le distributeur au fournisseur et article L.441-18 du code de commerce pour les pénalités infligées par le fournisseur au distributeur.

[9] Article L.441-1-1 du code de commerce.

[10] Rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation, 11 janvier 2023, n°684, p.36.

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