Transposition de la directive relative à la mobilité des sociétés : des effets sur les opérations transfrontalières et internes
On se souvient que, dans le sillage de la jurisprudence libérale de la Cour de Justice de l’Union Européenne, en dernier lieu par son arrêt Polbud (v. CJUE, gde ch., 25 oct. 2017, aff. C-106/16, Polbud-Wyskonawstwo sp. z.o.o.), la Commission européenne avait entrepris de relancer l’édification d’un cadre harmonisé concernant les opérations dites de mobilité transfrontalière au sein de l’UE. Déjà mis sur pied à propos des fusions (v. Directive 2005/56/CE du 26 octobre 2005 sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux), fût-ce de manière imparfaite, ce cadre faisait en revanche cruellement défaut s’agissant des scissions et surtout des transformations transfrontalières, soit le nouveau vocable employé par la Commission pour désigner le transfert transfrontalier de siège social, opération qui n’était jusqu’alors admise que pour les sociétés européennes.
Il en résulta l’adoption d’une directive en date du 27 novembre 2019 (Directive (UE) 2019/2121 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 modifiant la directive (UE) 2017/1132 en ce qui concerne les transformations, fusions et scissions transfrontalières, JOUE L 321, 12 décembre 2019), prévoyant notamment des mesures (i) de contrôle contre les abus et (ii) de protection des parties prenantes compte tenu du changement de lex societatis induit par ces opérations, et dont la transposition devait être opérée par les Etats membres au plus tard le 31 janvier 2023.
C’est donc – à l’instar d’un certain nombre d’Etats membres – avec quelques mois de retard que la France a procédé à une telle transposition, à la suite d’une habilitation législative à légiférer – comme il est devenu coutumier à cette fin – par voie d’ordonnance dans le cadre de la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne. L’habilitation était toutefois plus large que prévue, dans le sens où l’article 13 de la loi précitée autorisait le gouvernement, en sus de la transposition proprement dite, à « simplifier, compléter et moderniser les régimes des fusions, des scissions, des apports partiels et des transferts de siège des sociétés commerciales prévus au chapitre VI du titre III du livre II du code de commerce« .
Aussi pouvait-on s’attendre à ce que le texte finalement publié par le pouvoir réglementaire ne se résume pas à la transposition de la directive en traitant des seules opérations de mobilité transfrontalière, mais procède en parallèle à un ajustement plus général du régime des opérations internes de restructuration. Ces attentes n’ont dans l’ensemble pas été déçues, à la lecture de l’ordonnance n° 2023-393 du 24 mai 2023, complétée quelques jours plus tard de son décret d’application n° 2023-430 du 2 juin 2023.
De fait, en plus de dresser un cadre complet dédié aux opérations de mobilité transfrontalières (I), ces nouveaux textes opèrent un certain nombre de retouches, parfois non négligeables, aux opérations de restructuration interne (II).
Le régime afférent aux opérations transfrontalières
Les dispositions concernant ces opérations sont désormais regroupées au sein d’une même section du Code de commerce (v. art. L. 236-31 à L. 236-53 pour la partie législative, et R. 236-20 à R. 236-40 pour la partie réglementaire), en sachant que les règles édictées à propos des opérations internes dans les trois sections précédentes leur sont également applicables à titre subsidiaire.
Si les dispositions du Code de commerce issues de l’ordonnance et du décret précités traitent successivement des fusions, scissions, apports partiels d’actifs et transformations transfrontalières, celles concernant les fusions font en réalité office de tronc commun pour les trois autres types d’opérations.
Il en résulte ainsi, pour chacune d’elles :
- Une procédure unifiée : en particulier, doivent intervenir successivement la rédaction d’un projet commun d’opération, un rapport écrit des dirigeants de chaque société participante et l’intervention d’une expertise indépendante sur les modalités financières de l’opération ;
- L’approbation de l’opération par les associés à une majorité qualifiée : la directive exigeant que cette majorité soit au moins des 2/3 et au plus de 90 % des voix, l’ordonnance transpose cette exigence aux statuts de SARL et SAS, qui ne peuvent donc prévoir de majorité en deçà de ce plancher et au-delà de ce plafond pour l’adoption de l’opération, mais restent libre de fixer le curseur à leur guise entre ces deux bornes ;
- Un contrôle de conformité opéré exclusivement par le greffier du tribunal de commerce dans le ressort duquel la société participante était initialement immatriculée : ce contrôle devient plus substantiel, le greffier devant notamment, sous sa responsabilité, s’assurer que l’opération n’est pas réalisée à des fins abusives, frauduleuses ou criminelles, ce qui conduit à un allongement significatif du calendrier de l’opération puisque le délai d’investigation primaire est fixé à 3 mois à compter de l’approbation de l’opération, mais peut être prorogé plusieurs fois jusqu’à 8 mois au total ;
- Un droit de retrait pour les associés qui (i) seraient exposés à un changement de lex societatis et (ii) se sont opposés à l’opération, auxquels ont été assimilés les porteurs de titres dépourvus de droit de vote et les associés privés temporairement de ce droit de vote : ce droit de retrait devra être exercé par chaque associé dans les 10 jours suivant l’approbation du projet d’opération par l’assemblée et porte sur l’ensemble des actions qu’il détient au jour de sa demande, et la société devra, dans les 10 jours suivants, transmettre une offre de rachat, le prix pouvant proposé pouvant toutefois faire l’objet d’une contestation judiciaire ;
- Une protection des salariés et des autres créanciers des sociétés participantes : pour les premiers, leur avis dans le cadre des IRP doit toujours précéder la publication du projet d’opération et la communication du rapport des dirigeants et leur droit de participer aux organes de gestion doit être préservé à l’issue de l’opération ; quant aux seconds, ils disposeront d’un délai de 3 mois – contre 30 jours dans une opération interne – à compter de la publication de l’opération pour former opposition.
Les retouches apportées au régime des opérations internes
Outre un plan plus lisible et accordant enfin dans les textes à l’apport partiel d’actif la place spécifique qu’il mérite, deux points retiennent ici plus particulièrement l’attention :
- D’une part, des corrections bienvenues ont été apportées à des maladresses passées du législateur : on peut ici notamment évoquer (i) l’extension du régime des fusions « quasi-simplifiées » aux opérations impliquant une SARL, (ii) la restauration de l’apport partiel d’actif simplifié en présence d’une SARL mère ou filiale, ou encore (iii) le rétablissement du régime de la fusion simplifiée pour les scissions entre sociétés par actions lorsque les sociétés bénéficiaires détiennent l’intégralité du capital de la société scindée.
- D’autre part, une véritable innovation qui procède de l’introduction dans le Code de commerce de la scission partielle : conformément à ce que l’article 115 2° du CGI admettait pour conférer une neutralité fiscale à l’opération, il est désormais possible d’attribuer directement aux associés de la société apporteuse les titres émis par la société bénéficiaire en rémunération de l’apport. De surcroît, les textes admettent que les titres remis aux associés de l’apporteuse peuvent être pour tout ou partie ceux de cette dernière, et non exclusivement ceux de la bénéficiaire, selon une répartition qui devra être précisée par le projet d’opération, et dont il n’est pas expressément dit qu’elle devra s’opérer au prorata de la participation des associés de l’apporteuse, point qui ne manquera pas de soulever la discussion.